mercredi 24 juillet 2013

Sujet du mercredi 31/07 : "La tolérance est la vertu des faibles" A D de SADE

 "La tolérance est la vertu des faibles" A D de SADE



« La notion de vertu connote celle de force et de qualité morale. Pour les Grecs, l’homme vertueux est l’homme qui accomplit son humanité dans son excellence. Le vice au contraire renvoie à l’idée de faiblesse, de défaut moral. La question est de savoir ce qu’il en est de la tolérance sous le rapport de la force ou de la faiblesse morale. On entend par tolérance une attitude consistant à accepter des croyances, des conduites que l’on n’approuve pas. Dans l’idée de tolérance il y a à la fois l’idée d’une acceptation et celle d’une réprobation D’ou les problèmes :  

Si ce qui est réprouvé l’est en raison, la vertu humaine ne consiste-t-elle pas à le dénoncer et à le combattre?  Il nous semble que la vocation de l’homme est de lutter contre l’erreur et le mal moral, non de s’en accommoder. Inversement, si ce qui est réprouvé a sa légitimité, il n’y a pas à le tolérer mais à le respecter.
Qu’est-ce donc qui peut conduire les hommes à s’accommoder de l’inacceptable ou bien à avoir une attitude condescendante là où le respect serait de rigueur? Ne faut-il pas admettre que ce sont des principes peu honorables rejetant la tolérance du côté du vice
Seuls sont en situation de tolérer ceux qui sont en situation d’interdire. Les majorités tolèrent les minorités, pas l’inverse. Elles s’abstiennent de sanctionner des opinions ou des conduites qu’elles condamnent pourtant S’il va de soi que ce blâme est parfois légitime, cette attitude fait problème lorsqu’elle vise une manière de penser ou d’agir dont le seul tort est d’être différente. Par exemple, y a-t-il sens à dire que les Edits de tolérance au XVI° siècle témoignent de la vertu des catholiques? Non, car ceux-ci condescendent à admettre sur le territoire français le culte protestant, ils ne reconnaissent pas le droit des protestants à la liberté de croyance. Le tort de la tolérance est ici d’offrir comme un don gracieux de la charité ce qui est un dû, en vertu du principe de justice. Elle cache sous une façade de tolérance une intolérance foncière consistant à refuser à l’autre un droit égal à la liberté de penser et à la détermination autonome de sa conduite.
On tolère souvent ce que l’on n’a pas le pouvoir d’empêcher. Tolérance vient du latin tolero: endurer; supporter; souffrir
Le citoyen des quartiers où sévit la délinquance tolère la dégradation des locaux; le bruit la nuit. La femme battue; l’enfant martyr tolèrent les sévices aussi longtemps qu’ils n’ont pas le pouvoir
En ce sens Sade pouvait dire que «la tolérance est la vertu des faibles;». La faiblesse, l’impuissance ne sont pas des motifs de vertu
On tolère souvent parce que l’on fait preuve d’une grande compréhension à l’égard des faiblesses et des vices des hommes. Il y a dans cette facilité à accepter les fautes des autres, sans doute beaucoup de commisération pour notre misérable condition mais aussi un brin de complaisance. Cette motivation est très ambiguë. Qualité des grandes âmes, souvent sévères avec elles-mêmes mais indulgentes aux autres; elle peut aussi caractériser des êtres peu exigeants, enclins à flatter chez les autres les vices qu’ils s’autorisent.

Qu’est-ce que la tolérance? disait Voltaire; c’est l’apanage de l’humanité. Nous sommes tous pétris de faiblesse et d’erreur. Pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c’est la première loi de la nature
Ne pas tolérer c’est toujours prendre parti, s’engager, combattre ce que l’on condamne et cela ne va pas sans risque. Ne pas tolérer la délinquance c’est, dans certains quartiers s’exposer aux représailles. Cela demande du courage or le courage n’est pas la chose du monde la mieux partagée. Beaucoup ferment les yeux par peur, pour ne pas s’exposer aux dangers qu’implique la lutte contre l’intolérable. Lorsque l’on a perdu le sens des différences, lorsque l’inertie spirituelle fait que pour les hommes, tout se vaut, on se croit tolérant là où en réalité on est indifférent. Etrange tolérance qui ne coûte rien et qui est vidée de toute substance puisque seul peut se sentir tenu de tolérer des convictions différentes des siennes, celui qui en a de fermes.

Si c’est l’intolérance, l’impuissance, la lâcheté ou l’indifférence qui fondent une attitude tolérante, il n’y a guère de sens à la célébrer.
Si c’est la compréhension, le pardon, elle nous redevient sympathique mais où tracer la frontière la séparant de la complaisance voire de la complicité? Il y a beaucoup de vertu dans la personne magnanime mais enfin, la tolérance consiste dans le premier cas à nier le droit des autres et dans les autres à s’accommoder de ce qui fait injure à l’humanité, l’erreur dans les paroles, la faute dans les conduites et cela fait problème.

Alors comment comprendre que la tolérance puisse jouir d’un tel prestige et qu’elle puisse revêtir le visage de la vertu? Suffit-il de dire  qu’elle permet aux hommes de vivre en paix? Mais que vaut une paix si c’est la paix de la peur, de la lâcheté et de la démission spirituelle?
C’est ailleurs qu’il faut chercher et il semble bien que la tolérance se soit imposée comme une vertu parce qu’elle est le contraire de l’intolérance et là, pas d’ambiguïté possible, c’est bien le pire des vices. »   
              
Par S. Manon

samedi 20 juillet 2013

Sujet du Mercredi 24/07/2013 : "Qui appris à mourir, a désappris à servir" Montaigne.



Dans les « Essais » Montaigne déclare « Il est incertain où la mort nous attende, attendons-la partout. La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir, il a désappris à servir. Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte. Il n'y a rien de mal en la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n'est pas mal. » (Livre premier, chap. XX).
Rejoignant Epicure pour lequel la crainte de la mort est infondée, puisque  « quand nous sommes, la mort n'est pas là, et quand la mort est là, c'est nous qui ne sommes pas ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n'est point, et que les autres ne sont plus. » (Lettre à Ménécée), Montaigne reprend la tradition matérialiste antique (conception non platonicienne).
Mais il y rajoute une autre dimension : celui qui aurait acquis cette conception de la vie aurait « désappris à servir ».
Si l’on replace le texte de Montaigne dans son contexte historique celui de la Renaissance et des premières réflexions contre l’absolutisme et la féodalité, on comprend mieux les raisons de cette réflexion sur le couple mort/servitude – liberté (ou plutôt « non-servitude) Montaigne inaugure une nouvelle phase de la réflexion philosophico-politique sur le pouvoir et les rapports que les hommes doivent entretenir avec l’autorité. Il préfigure Descartes et Spinoza, puis les penseurs de l’Etat et du Contrat Social. Il anticipe le slogan révolutionnaire des sans-culottes de 1789 « La liberté ou la mort ».

Ami du jeune La Boétie il a été frappé par le texte de ce dernier « Discours de la servitude volontaire » (publié en 1576) et ses « Essais » font écho à la prose de son ami : « Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres  à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres !........... Vous vous affaiblissez afin qu’il (le souverain) soit plus fort, et qu’il vous tienne plus rudement la bride plus courte. Et de tant d’indignités que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir.  Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre. ».
Une fois résolue, pour le philosophe, ou celui qui s’en tient à la raison ou à la « Nature » Spinoziste, la question de la mort, demeure celle de la servitude qui est question de la vie, on pourrait même dire de la « vie courante » tant notre humanité ne peut se percevoir que comme un immense champ ou se déploie le couple maître/serviteur.
Alors, ou bien ce couple est fondé sur une « éternelle » nature humaine, qui présuppose l’existence de forts et de faibles et donc de rapports « naturels » de domination et de servitude. Ou bien son origine est ailleurs et l’inégalité sociale, loin d’être le reflet de cette « nature humaine » est la vraie condition initiale (et historiquement datée) de la naissance de la servitude.
Si la domination, loin d’être un phénomène « naturel » nait de l’inégalité dans la jouissance des biens de la nature et de la société, alors seule la violence (réelle, armée ou idéologique (propagande)) est source et maintien de l’ordre dominant. Dès lors rien ne pourra être opposé à cette injustice (proclamée dans les lois comme « naturelle ») si ce n’est une autre forme de violence. Celle que décrit Marat dans son libelle du 10 Novembre 1789 :
« …. est-il quelque comparaison à faire entre un petit nombre de victimes que le peuple immole à la justice dans une insurrection, et la foule innombrable de sujets qu’un despote réduit à la misère, ou qu’il sacrifie à sa cupidité, à sa gloire, à ses caprices ! Que sont quelques gouttes de sang que la populace fait couler, dans la révolution actuelle, pour recouvrer sa liberté, auprès des torrents … qu’en a fait répandre la coupable ambition de Louis XIV ? Que sont quelques maisons pillées en un seul jour par la populace, auprès des concussions que la nation entière a éprouvées pendant quinze siècles sous les trois races de nos rois ? Que sont quelques individus ruinés, auprès d’un milliard d’hommes dépouillés par les traitants, par les vampires, les dilapidateurs publics ? Mettons de côté tout préjugé et voyons. La philosophie a préparé, commencé, favorisé la révolution actuelle ; cela est incontestable ; mais les écrits ne suffisent pas, il faut des actions. ».

L’histoire de l’humanité (écrite par les vainqueurs – Napoléon est un « héros en France, mais un criminel de guerre pour tous les peuples d’Europe…) nous montre qu’il est des moments dans lesquels il n’y a pas de choix pour échapper à la servitude et cela se résume par le slogan « vaincre ou mourir », ou encore « la liberté ou la mort ».

Le résistant, l’insurgé, l’esclave, celui qui n’a rien d’autre à perdre que ses chaînes n’est pas suicidaire, il n’engage pas le combat pour mourir, ni pour agresser qui que ce soit. C’est un amoureux de la vie, et c’est justement parce qu’il a apprivoisé l’idée de la mort qu’il la met dans la balance d’une humanité autre qui le dépasse. 

Mais écoutons Missiak Manouchian, fusillé par les nazis en 1944 : « Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine…. Au moment de mourir, je  proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit…. » 
« La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. » Montaigne

lundi 15 juillet 2013

Sujet du mercredi 17 Juillet : "ALLONS-NOUS VIVRE SIMPLEMENT POUR SIMPLEMENT VIVRE ?" (Gandhi)



En 2013 les hommes occupaient la cité. Mais comment le faisaient-ils ? Toute la question était là.
A l’ombre ou au soleil, les terrasses des cafés et celles des restaurants étaient partout, équipées de brumisateurs ou braséros. La pléthore en tout régnait en maître, la démesure était reine, nous exultions d’illimitations polymorphes. Partout hommes et femmes faisaient bombance et ripaille (tandis que d’autres s’échinaient au travail ou croupissaient dans le besoin). A toute heure, une belle hubris hédoniste dévorait l’espace social et le rapport aux autres. A toute heure le débraillé de l’orée des culs nus, l’exubérance gestuelle et verbale emplissaient l’espace visuel et sonore. Sous tous rapports et à tous égards la fête et « la bonne vie » égayaient nos existences. La vie en ce temps-là était comme « la bonne fille » et « la fille bonne » alliant le pire et le meilleur, deux démesures opposées qui ne s’annulaient pas mais, par leurs effets contraires, assuraient la déliquescence schizoïde de l’esprit et de l’âme s’exprimant par une multitude de troubles délétères. Nous étions en ces temps à la hauteur de tous nos désirs et plaisirs à foison. L’argent de leur réalisation semblait ne jamais pouvoir tarir.
Authentiques « épicuriens », nos concitoyens enchantaient la cité. Nos déchets innombrables, vestiges quotidiens de l’abondance consommatoire, constituaient pour nous moins un souci qu’un don gracieux aux goélands récemment venus de la mer à tire-d’aile bénévoles. L’opinion partagée, notre doxa, voulait que nous fêtions également dès que s’en présentait l’occasion l’hubris du « mariage pour tous », de l’ultradécibel de « l’orgueil homosexuel » (la « gay pride » états-unienne) et de la jubilation du solstice estival de toutes les musiques cacophoniques. Au milieu du forum de la cité ouvert à toutes les libertés, trois ondines de pierre onctueusement dénudées et alanguies sur de la mousse trempaient un pied gracile dans un frai ruisseau municipal.
A la même heure sur les rivages méridionaux de la mer commune, le pays ne menait-il pas du haut des cieux chaque année, oui chaque année sans que nous ne levions le sourcil, l’hubris d’une nouvelle et sanglante guerre de destruction zénithale afin que nous soyions alimentés en énergie et en minerais rares soutenant l’hubris de nos gadgets électroniques divers ? Accaparés par la « bonne vie » plutôt que « la vie bonne », nous ne nous en offusquions pas, même le temps d’un bref éclair. Aucune lueur de conscience ne nous habitait déjà plus, toute pensée critique un tant soit peu rationnelle de la mort de masse sciemment perpétrée nous avait quittés, augurant de l’acceptation cinq années plus tard en 2018 de sa dramatique réalisation parmi nous, contre nous, en nous et sur nous.
Nous étions en 2013 … Mais étions-nous alors tous allés à pied par les chemins de France camper devant les parlements et les lieux de pouvoir tels des Gandhi modernes, des paysans sans terre indiens et français d’alors ou tels des quidams patients et résolus des « places Tahrir » pour tarir la démesure des pouvoirs et des actions illégitimes et criminelles ? Nous appliquions-nous alors à vivre une existence simple faite du nécessaire et de quelques autres plaisirs naturels assurant le moins de troubles possible dans nos vies, en acceptant certains pour éviter les pires qui sont maintenant devenus les nôtres ? Faisions-nous il y a cinq ans les tris nécessaires, passions-nous nos choix de vie au tamis des valeurs éthiques les plus simples, celles qui montrent que le plaisir le plus grand est celui de l’absence de trouble physique ou moral, l’assurance d’un équilibre humain de l’agir sobrement en toute justice pour chacun ?
Le plaisir de la vie sobre et frugale ne s’atteint-il pas par la connaissance de nos limites et de celles de la nature qui nous entoure et soutient nos existences ? Cela n’implique-t-il pas une certaine discipline et une ascèse, ne serait-ce que pour accéder à la pensée rationnelle nécessaire à la maîtrise de soi et à la compréhension de la vie et du monde ? La jubilation n’est-elle pas dans une vie faite de tempérance, de tranquillité et d’autosuffisance en amitié avec les autres loin des croyances fausses et des passions néfastes de la démesure et de l’hubris ?
Le but et la conséquence ultime de la philosophie ne seraient-ils pas la jubilation d’ « une vie simple pour tous afin que nous puissions tous simplement vivre dignement » (Gandhi) ?

Sujet du Merc. 23/03/2024 : Le cas Nietzsche.

                                   Le cas Nietzsche.       Pourquoi un tel titre ? Qui aurait l’idée de dire « le cas Diderot », ou « le c...