dimanche 25 août 2013

Sujet du mercredi 28/08/2013 : Faut-il laïciser la laïcité ?



Faut-il laïciser la laïcité ?

Sacralisée par les uns, diabolisée par  les autres, falsifiée ou dévoyée par beaucoup, confuse ou déroutante pour les plus sincères, la laïcité est l’objet récurrent de passions et de pulsions françaises depuis plus d’un siècle.
Passée  la grande tempête de 1905 (la « Séparation »), le débat laïque, après la Libération, portait essentiellement sur la question scolaire (comme en 1959 ou  1984). Mais, depuis les années 2000, il s’est transformé en interrogation plus générale sur  la cohésion républicaine, l’identité et  la nationalité, l’intégration et la citoyenneté, les questions sociétales (cellules souches, mariage, fin de vie). Non sans arrière-pensées politiciennes et électoralistes (2007, 2012) !
Les rivalités géopolitiques multipolaires, assorties de  la remise en cause de «l ’hyperpuissance américaine » (H. Védrine), sur fond de crises (financière, économique, sociale, démocratique, environnementale), de quête du sens, d’inégalités et d’injustices accrues, la « présence » du (des) peuple(s) « musulman(s) », ont donné prétexte à des irritations et des crispations identitaires et à une instrumentalisation politique du fait religieux face à un mouvement laïque affaibli, hésitant ou accommodant.
En effet,  « Ouverte, positive, apaisée, assouplie, exigeante, tolérante, plurielle, nouvelle… » ?, que de qualificatifs pour habiller (ou voiler !)  la laïcité ! 
Ainsi, dans un environnement complexe et imprévisible, l’honnête homme du XXIème siècle ne sait plus, si j’ose dire, à quel saint se vouer !
C’est pourquoi, à rebours des dogmatismes de tous poils, dégagé des contingences du manichéisme ambiant et de la médiacratie, un effort conceptuel et critique s’impose, seul à même d’éclairer toute pratique citoyenne conséquente.

Il est vrai que l’homme s’est fait par l’outil, le langage et le feu, mais aussi par le mythe et le rituel. Le croire et le sacré traversent l’histoire. L’humanité a ceci de commun qu’elle s’est toujours interrogée sur les grands mystères existentiels. La diversité des réponses, la variété des options spirituelles et des éthiques de vie  ne posent problème que lorsque l’une d’entre elles prétend imposer son credo à toutes les autres. « Là où il y a un élu, il y a un exclu.» (R. Debray)
Si la religion, pur témoignage spirituel (Spinoza) et interprétation métaphysique longtemps dominante, est  l’«expression de la misère réelle » et la  « protestation » contre celle-ci (Marx), c’est lorsqu’elle régente la vie civile au nom d’une vérité révélée et établit des liaisons dangereuses avec la politique (« Un roi, une loi, une foi ») que les choses se gâtent (Merci, Théodose, 380). Voici la « persécution juste » (Saint Augustin) et  la « Guerre des Dieux » (M. Weber). L’intolérance et la mort sont  au rendez-vous. Tuez les infidèles ou les impies ! L’histoire, jusqu’à ce jour, et longuement, en témoigne (n’est-ce pas, Chevalier de la Barre, 1766 ?...).

Aux temps de la « postmodernité » ,  les idéologies du « désenchantement du monde » (M. Gauchet,) du « retour du religieux » (« Nietzsche est mort », signé Dieu), du « choc des civilisations » (S. Huntington, 1996), et  de  la « lutte contre le terrorisme » (de B. Clinton à F. Hollande), bousculent considérablement la mentalité laïque. (tout en proclamant, sans rire, la fin des idéologies !)
Le recours fondamentaliste aux textes religieux (N.B. « recours », pas « retour »)  , Bible (Ancien ou Nouveau Testament) et Coran, relève davantage d’intentions politiques profanes, de volonté  de conquêtes de « terres promises » ou de parts de marché, d’oppressions ou de discriminations (notamment à l’égard des femmes). Voici revenus les anathèmes ou les fatwas, (sinon les Croisades !...quoique…).
Le « vivre ensemble » est ainsi mis à mal dans un monde à la fois globalisé et tribalisé. Falsifications et mystifications diverses  sont au rendez-vous qui masquent les enjeux réels de pouvoir et de domination.
Car « le monstre doux » veille (R. Simone ou Tocqueville) ! Sous le regard bienveillant de Mercure et de Mars, figure tutélaire de la pensée unique, il se gave de ce qui fait peur et divise : au menu, « l’autre » sous toutes ses formes, celui qui diffère ou qui déroge, ici et ailleurs. C’est le « temps de cerveau humain disponible » (P. Le Lay, 2004) qu’il chérit, c’est l’alternative d’un autre monde possible qu’il dénie (le « TINA » de M. Thatcher des années 1980), c’est le Mal dont il dénonce « l’Axe » (G.W. Bush, 2002).
Face à cette « douceur totalitaire », ( J. Baubérot), à l’invitation des Lumières, ne faut-il pas « oser penser » (Kant) ?  Pour agir. N’y a-t-il pas urgence ?

L’article premier de la Constitution française de 1958 énonce : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances… »
Principe juridique donc, mais pas seulement : « La notion de laïcité recouvre un idéal universaliste d’organisation de la cité et le dispositif juridique qui, tout à la fois, se fonde sur lui et le réalise. Le mot qui désigne le principe, « laïcité », fait référence à l’unité du peuple, en grec le laos, conçu comme réalité indivisible, c’est-à-dire exclusive de tout privilège. Une telle unité se fonde sur trois exigences indissociables : la liberté de conscience assortie de l’émancipation personnelle, l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de sexe ou de conviction spirituelle, et la visée de l’intérêt général, comme seule raison d’être de l’Etat. » H. Pena-Ruiz.
 Mais que de  parcours chaotiques et de seuils difficilement franchis avant d’en arriver là : car la laïcité a été, et demeure, un mouvement, un combat permanent, une conquête.

Ne faudrait-il pas, alors, hors de tout préjugé, « sous un voile d’ignorance » (?, J. Rawls) pour en comprendre pleinement  le sens :
interroger les voix anciennes, puissantes, qui, de protestations en déviances, lui  ont ouvert le chemin, de Socrate à Spinoza ; celles des Amériques et de l’Europe des Lumières, de Kant à Rousseau, de l’Encyclopédie, qui en bâtirent les fondements philosophiques et politiques incarnés  dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen  de 1789 et prépareront dans les consciences, et par la Loi, l’abolition de  l’Ancien Régime (n’en reste-t-il pas encore quelques « modernes » bastions ? n’est-ce pas Olympe de Gouges ?) ; et V. Hugo («l’Eglise chez elle et l’Etat chez lui » », 1850), et  Zola (« J’accuse… », 1898)… ;
les prolonger des réflexions théoriques et politiques actuelles (C. Kintzler, C. Nicolet, H.Pena-Ruiz, J. Baubérot, J.M. Ducomte, G. Corm…) ;
parcourir le processus historique de sécularisation qui, au cours du XIXème siècle, ( J. Ferry, J. Jaurès, A. Briand « tonnant » à la tribune…) aboutit, en France à la Loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 et aussi visiter les autres espaces « laïcisés » (du Mexique à la Turquie, en passant par les Etats-Unis par exemple), ou en voie de l’être ;
apprécier la spécificité de la laïcité de l’école républicaine, lieu singulier de savoir, d’intégration et d’égalité ;
mesurer  les enjeux et les défis de notre temps, y compris dans leur dimension géopolitique et « écologique » (le bien-vivre ensemble sur une « terre qui n’est à personne », Rousseau) ?

En sollicitant ainsi  l’apport de la philosophie, de l’histoire et du droit, en observant le particulier (« l’exception française », sa spécificité comme ses imperfections) et l’universel (sans imposer un quelconque imaginaire occidental ), en situant la place de la question scolaire comme institution fondatrice, le tout au sein d’«un  monde fini » (P. Valéry), n’est-ce pas alors se demander : « De quoi la laïcité est-elle le nom ?» (sans adjectifs), et, hors de tout cléricalisme de la pensée, avec sérénité, en somme, verser au débat une vision laïque de la laïcité ?
Et puis, et enfin, question pratique : « Que faire ? ». Exercice personnel, éthique, spirituel ? Résistance, engagement politique partagé ? …Pour un collectif heureux ?


Henri GIORGETTI

dimanche 18 août 2013

Sujet du mercredi 21 Aout : Que peut le courage ?



                 Que peut le courage ?
Courage : Force de caractère, fermeté que l'on a devant le danger, la souffrance ou dans toute situation difficile à surmonter (Larousse illustré, 2010).
Pas de l'héroïsme: c'est une attitude exceptionnelle adoptée par quelqu'un dans l'exercice courant de ses activités. Simple acte de résistance face à une situation considérée comme intolérable.
Nécessaire pour atteindre des objectifs, ne pas s'arrêter à la crainte des obstacles.
On en a besoin pour affronter ses propres défauts, entreprendre de grands projets.
Il comporte des limites. La prudence évite des attitudes téméraires irraisonnées (je n'essaie pas d'ingurgiter ce poison, je montrerai ma témérité autrement), il doit être employé pour faire le bien (un terroriste ne peut être "courageux"), il constitue le commencement d'une droiture dans l'attitude, non une fin en soi (évitez "je suis courageux, et je fais ce qui me plaît").
On peut exercer le courage, en exposant en public et surmontant ainsi sa peur de déplaire, conserver ses propres convictions en dépit de l'assentiment général que l'on perçoit à leur encontre, le renoncement chrétien peut exiger enfin une certaine forme de courage.
Des exemples de personnages courageux: Jésus, Manouchian, Moulin.
A travers ces 3 exemples, on sent combien la notion est relative, liée à la culture et alimentée par le mythe grec du "Héros" (il s'agit d'une des 2 figures " ou idéal-types" représentant les passions humaines: on tendrait soit vers l'héroïsme, soit vers la sagesse et de la confrontation des 2 naît la possibilité de vivre ensemble).
Ainsi, "être courageux",  que l'on soit Héros ou Sage, n'impliquera pas les mêmes décisions; on peut ainsi parvenir à des situations opposées: Manouchian, adoptant l'attitude du Sage, pardonne, et c'est une marque de courage, alors que Moulin s'oppose frontalement jusqu'à la fin.

Dans ce contexte animé, que peut le courage ?
Que peut un homme seul face à une masse à laquelle il s'oppose ?
Derrière cette expression se profile la nécessité de modifier le cours des évènements...encore faut-il donc qu'il y ait matière à cela. On songe dès lors aux pays en voie de développement, aux minorités ethniques ou de genre, à ce qu'il convient de faire en cas d'invasion,....
Au total, le pouvoir dédié au courageux se scinderait en 2 "possibilités": le courage de se changer soi-même, afin de ressembler à ce qu'on veut soi, hors les attentes auxquelles on tentera toute sa vie de se conformer, en est la première.
Seconde "option" pour le courageux: changer le monde, les autres, ce qui lui est extérieur...
Se changer soi-même implique un cheminement intérieur fait de rigueur et de renoncement; les parcours individuels peuvent être associés à cette démarche de nature spirituelle (Gandhi).
Changer les autres ou la société, si elle est le fait d'un seul, peut facilement basculer vers la dictature (Hitler a été, en un sens, courageux. L'argument moral est certes peut convainquant mais incontournable....rappelons-le, le courage s'entend pour faire le bien: même si cette expression peut prêter à sourire par trop de naïveté, on comprend que la configuration dans laquelle le Führer a pris le pouvoir ne la reflète pas). Changer les autres ou la société ne pourrait dès lors être le fait que d'un Collectif qui s'insurge pour faire respecter la démocratie, des valeurs, la suprématie d'un Etat-nation ou d'une fédération d'Etats (Jean Monet et l'Union Européenne).

Que peut donc le courage, s'il dépend de nous seul ? Tout, puisque nous en sommes les seuls maîtres.
Que peut le courage, dans son acception de bouleversement de l'ordre établi ? La réponse paraît plus nuancée. Forte est la tentation de répondre que rien n'est vraiment possible, tant la condition de sa réalisation (l'accord d'une majorité autour d'une action à mener) est hors d'atteinte (les résultats aux élections en France montrent, sauf exception en 2002, que les élus peuvent seulement se prévaloir d'une "majorité molle" qui dépsse rarement 51% des suffrages exprimés). Toutefois, face à une menace crédible, un petit collectif peut s'organiser et imposer sa volonté dans une situation désespérée (Maquis pendant la 2nde Guerre Mondiale).

lundi 12 août 2013

Sujet du mercredi 14 Aout 2013 : Toute morale conduit-elle au fanatisme ?



TOUTE MORALE CONDUIT-ELLE AU FANATISME ?
Le terme fanatique vient du latin « fanaticu » construit à partir du mot « fanum » qui signifie temple. A l’origine cela n’avait aucun sens malveillant puisqu’il désignait un prêtre du culte de Bellone, devin inspiré. Il s’agit de quelqu’un qui se croit, inspiré par l’esprit divin. Paradoxalement c’est Bossuet, acteur de l’absolutisme religieux, qui, parmis les premiers, fustige le fanatisme. Il écrit dans son « Oraison de la reine d’Angleterre » : « les trembleurs (les quakers) gens fanatiques qui croient que toutes leurs rêveries leur sont inspirées ».               
Avec les philosophes des lumières, le fanatisme apparaît comme une aversion de la raison, de l’esprit philosophique, comme une passion irrationnelle, un clivage impossible à combler entre l’usage de la raison et l’excès émotionnel caractérisant le fanatisme.        
Le fanatisme devient l’un des mots clefs du XVIII siècle. « L’encyclopédie » lui consacre pas moins de 17 colonnes : « un zèle aveugle et passionné qui nait des opinions superstitieuses et fait commettre des actions ridicules, injustes et cruelles non seulement sans honte et sans remords, mais encore avec une sorte de joie et de consolation »
Le combat de la tolérance contre le fanatisme fait rage, à l’image de Voltaire. « une folie religieuse sombre et cruelle : c’est une maladie qui se gagne comme la petite vérole ». Pour combattre « ces crimes de l’intolérance » l’accès aux évidences d’une raison naturelle et les principes universels de la morale est nécessaire. 
Aujourd’hui, le fanatisme fait référence à une véritable religion de la mort qui prône la fatuité et le non sens de la vie terrestre, revendiquant la réalité d’une vrai vie, post mortem.               
Le concept même de Morale conduit-elle au fanatisme ou seulement certaine définition philosophique de celle-ci ? Pour cela rappelons brièvement quelques approches principales de la morale.      
La morale, du latin « mores » mœurs et plus précisément « moralis » relatifs aux mœurs chez Cicéron qui traduit « éthos » en grec d’où sera tiré éthique. La frontière étymologique entre morale et éthique est donc mince mais fera l’objet peut être d’un autre débat. 
En définition générale de la morale nous pouvons trouver: Science du bien et du mal, théorie de l’action humaine en tant qu’elle est soumise au devoir et a pour but le bien. Ensemble des règles d’action et des valeurs qui fonctionnent comme normes dans une société. En philosophie la notion de morale aborde la théorie des fins des actions, de l’existence de l’homme afin de déterminer les conduites des individus.          
- La morale du plaisir : Epicure identifie le bon à l’agréable        
- La morale stoïcienne : La vertu et non le plaisir. Seule la vertu compte car ce qui ne dépend pas de nous est moralement indifférent. Seul ce qui dépend de nous peut être bien ou mal.             
- La morale du devoir : La morale définie le bien comme la réalisation du devoir. C’est le pur respect de la loi. C’est une morale répondant aux exigences de la raison. C’est la morale de Kant. De plus chez Kant, c’est une morale d’intention. C’est la valeur morale des actions qui compte et non leur résultat.       
- La morale provisoire : Pour Descartes, doutons avant d’agir, cependant comme l’action n’attends pas il faut une morale provisoire « obéir aux lois et coutumes du pays » en attendant l’élaboration d’une morale personnelle fondée sur le bon sens.    
- La morale de l’intérêt : Définition du bien par le bon, repossant sur l’intérêt commun comme agrégation des intérêts individuels. Morale selon Durkheim.    
Autres distinctions intéressantes:          
La morale acquise : par la religion, la société, la culture, l’éducation. Appropriation de règles extérieures comme règle intérieure. Freud l’a nomme « surmoi » par les interdits posés par les parents. L’éducation est là notamment pour acquerir une conscience morale où la société conditionne cette éducation. C’est la morale faite d’interdits. Cela suppose l’existence du désir du mal               
La morale innée ; Rousseau, la morale comme instinct divin, immortel et céleste dans « Emile » : morale voix mise en l’homme par Dieu.        
Après ces précisions, tentons de retourner à notre débat.        
La notion de morale chez Kant à la fois acquise et inné comme possibilité de norme universelle, est acquise au sens où dans un premier temps elle est quelque chose de transmis et d’imposé par l’éducation. Mais parvenu à l’âge adulte, tout à chacun est en mesure de penser par soi-même et d’utiliser à cet effet, sa raison. Ainsi si chacun fait l’effort d’utiliser cette raison alors chacun trouvera des critères et des principes moraux universels, qui sont les même pour tous, valables pour tous et qui déterminent le bien. La morale est « a priori », tirée de la seule raison et qu’elle est à ce titre universelle et nécessaire.       
Ces principes moraux universels tirés de la raison sont au nombre de trois : universalité,respect de l’homme et principe d’autonomie. Dans cette reflexion Kant justifie l’exigence morale elle-même et renforce par une fondation sérieuse la moralité afin de garantir l’harmonie entre les hommes. Tout ceci se base sur sa conception d’une réelle autonomie de la volonté. La compréhension de la morale se libèrerais de la religion, de tout dogme, de tout fanatisme ?
Mais alors quand est il du fanatisme qui s’est imposé pendant la sombre période de la Terreur au nom de la raison et de la liberté, souhaité par le peuple et la politique de la vertu des jacobins? L’accent fut mis sur une morale supposant aucun compromis, une exigence totale de pureté, une dévotion totale à l’idéal commun. Une foi inconditionnelle en des idéaux d’égalité, de fraternité et de justice ayant une signification universelle : un fanatisme moral ?
Le précepte évangélique "Ne jugez point" atteste d’une ancienne propension à "juger" autrui, ce qui permet de se blanchir. Le censeur s'érige en autorité. Juger moralement consiste à se réclamer d'un absolu pour séparer le juste de l'injuste. C'est donc se mettre du côté de l'absolu, ou mettre l'absolu de son côté, c'est-à-dire s'arroger abusivement la propriété du Bien, et donc trop souvent transformer ses intérêts propres en lois, en devoirs, en règles, en vérité et en Bien absolus. La morale est alors la ruse pour s'accaparer la force du juste : ruse dont le vrai nom est fanatisme, consistant à vaincre l'adversaire par le moyen détourné et fantasmatique des idéaux, des absolus. Ce fanatique moral, Nietzsche lui a donné le nom de faible, et même de "minable".
Donc, Nietzsche voit dans la moralité diffuse le résultat d’un abêtissement progressif de l’humanité.
Il appelait la morale la "Circé de l'humanité", sa séductrice perverse et morbide : en faisant miroiter des idéaux et des valeurs sublimes, elle discrédite implicitement ce monde-ci et sous prétexte de l'améliorer, permet ainsi d'en esquiver les obligations. La morale, refuge des contemplatifs, sert trop de tours d'ivoire pour vieux sages "hors service", "las de la vie», «chancelants sur leurs jambes".            
En adoptant les valeurs du « troupeau », l’individu renonce à ce que l’existence peut avoir d’exaltante. Les valeurs dominantes, celles qui fondent le conformisme, témoignent de l’influence du christianisme et de la mentalité « démocratique ». Cette obéissance  signifie rien d’autre qu’un asservissement à un idéalisme qui oublie les exigences du corps, de la joie et de la volonté de puissance. Il faut donc aller vers l’abolition de la morale, le rejet du« fanatique de la morale » à la Rousseau et «le connaisseur de l’homme des plus bornés », Kant.
Pour Baruch Spinoza dans son traité théologico-politique, il précise que ce que tu faisais dans un premier temps par obéissance ou crainte, il te reste à le faire librement, joyeusement. On passe de la morale à l’éthique. L’ensemble des devoirs et des interdits (la morale) n’est qu’une infime partie de l’art de vivre (l’éthique). Il faut la morale parce que nous naissons pas libre et l’éthique pour que nous ayons une chance de le devenir.
« C'est aux esclaves, non aux hommes libres, que l'on fait un cadeau pour les récompenser de s'être bien conduits."
Spinoza rejoint peut être là Nietzsche, pour qui la distinction commune du bien et du mal est un "asile de l'ignorance" de la part des humains qui se croient "un empire dans un empire" et se pensent libres de ne pas faire ce qu'ils condamnent :"Car les hommes sont conscients de leurs actions et de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent".


lundi 5 août 2013

A propos de "Nietzsche, il ribelle aristocratico" de Domenico Losurdo, par Denis Collin.


La lecture du livre de Losurdo ne nous laisse pas indemnes. C'est tout un pan de la pensée européenne qui est mis brutalement en lumière, tout un réseau touffu de renvois de Lapouge à Nietzsche, de Taine à Weber, bref tout le chaudron dans lequel on a fait bouillir l'idéologie dont s'empareront les bandes armées des meurtriers fascistes et nazis. En mettant sou le feu de la critique les "hermeneutiques de l'innocence" de Nietzsche, Losurdo nous invite en même temps à rompre avec l'alibi de l'irresponsabilité des intellectuels. Un vaste sujet de méditations.

Sujet du Mercredi 07 Aout : "Il n'y a pas de faits, que des interprétations" Nietzsche



  "Contre le positivisme, qui en reste au phénomène, « il n’y a que des faits », j’objecterais : non, justement, il n’y a pas de faits, seulement des interprétations. Nous ne pouvons constater aucun factum « en soi » : peut-être est-ce un non-sens de vouloir ce genre de chose. « Tout est subjectif », dites-vous : mais ceci est déjà une interprétation, le « sujet » n’est pas un donné, mais quelque chose d’inventé-en-plus, de placé-par-derrière. – Est-ce finalement nécessaire de poser en plus l’interprète derrière l’interprétation ? Ceci est déjà de l’invention, de l’hypothèse. Dans la mesure exacte où le mot « connaissance » a un sens, le monde est connaissable : mais il est interprétable autrement, il n’a pas un sens par-derrière soi, mais d’innombrables sens « Perspectivisme ». Ce sont nos besoins qui interprètent le monde : nos pulsions et leurs pour et contre. Chaque pulsion est une sorte de recherche de domination, chacune a sa perspective, qu’elle voudrait imposer comme norme à toutes les autres pulsions." 

Nietzsche, Fragments fin 1886 - début 1887.

Sujet du Merc. 23/03/2024 : Le cas Nietzsche.

                                   Le cas Nietzsche.       Pourquoi un tel titre ? Qui aurait l’idée de dire « le cas Diderot », ou « le c...