lundi 6 janvier 2014

Sujet du Mercredi 8 Janvier 2014 : Abolition de la prostitution, une loi libertaire ou liberticide ?



Abolition de la prostitution, une loi libertaire ou liberticide ?



 




4 décembre  2013, un tournant dans l’histoire de la prostitution en France ? Peut-être, peut-être pas. La prohibition en France a déjà eu le vent en poupe à de nombreuses reprises dans notre histoire. L’une des premières références à la lutte contre la prostitution remonte à l’ordonnance de proscription d’Orléans de 1560. S’en suit police des mœurs, lutte ou contrôle à visée sanitaire, voire criminalisation des prostitués comme en 1658 par Louis XIV : emmenées à la Salpêtrière jusqu’à ce que les prêtres les jugent repenties.




Mais la politique abolitionniste actuelle se démarque totalement de la politique prohibitionniste par sa volonté d’épargner les prostitués au bénéfice d’une charge de la culpabilité pesant sur le client, qui devient alors le prostitueur. Ce renversement d’opinion pourrait de prime abord nous convaincre du caractère humaniste et indubitable de cette loi. Mais cela serait trop simpliste de ne pas chercher philosophiquement plus en amont et questionner l’idéologie sur laquelle se fonde cette loi.




Des députés ont annoncé avoir subi un lobbying d’une rare puissance de la part de quelques associations féministes et de défense des prostitués. Le rapport préliminaire aux discussions en  assemblée de Daniele Bousquet s’est basée sur 200 témoignages, dont 15 travailleuses du sexe et seulement 7 encore en activité, le reste étant des experts. Françoise Gil, sociologue qui s’est intéressée à la question de la prostitution a d’ailleurs fait remarquer, je cite : « le dogme […] des associations, sur le client qui devient le  prostitueur . Quand j’ai été auditionnée par la mission d’information parlementaire, ils avaient déjà décidé de conclure selon cette idéologie, il y avait un parti pris. »




Dans ce même exposé figure certainement la notion majeure de notre questionnement éthique. La non-patrimonialité du corps. Récemment inscrit (1994) dans le Code civil pris en son article 16-1, ce principe juridique dispose, pour faire simple, que l’individu n’est pas libre de faire ce qu’il veut avec son corps. Une limite au libre-arbitre en soit. C’est sur ce même principe que viennent d’ailleurs se heurter toutes les questions de bioéthique, comme l’avortement, la gestation pour autrui, l’euthanasie (voir le droit au suicide), le don d’organes (sang, gamètes, ovules, etc.). Sont spécifiquement exclus de ce principe cheveux, ongles, poils et dents.




Ce n’est pas tout, outre ce principe de non-patrimonialité du corps (ou d’indisponibilité du corps), la proposition de loi fait également référence au respect de l’intégrité du corps et de l’égalité entre hommes et femmes. Environ 15% des prostitués sont des hommes. L’abolition de la prostitution est donc régie par une volonté d’égalisation des sexes. C’est une question intéressante dont il est bon ton de se demander ce qu’il en est pour tous les métiers peu enviables où les femmes sont souvent majoritaires. Doit-on légiférer ? Nous nous retrouvons donc, dans les faits, au carrefour d’une discrimination positive, d’une limite au libre arbitre, et au respect de l’individu dans tout ce qui le compose.




Dans les arguments proabolitionnistes, nous retrouvons nombreuses affirmations sur la dépendance économique des travailleurs : « Elles n’ont pas choisi. Personne ne voudrait faire cela, et si elles le font, c’est parcequ’elle n’ont rien à côté. ». Ces arguments me semblent difficilement recevables en France.  D’une part, car gagner 100 à 300 euros en une heure (800 à 1500 euros pour les Zahia et co) est un nombre bien éloigné du SMIC (9 euros 50 de l’heure) et, d’autres parts, car nous sommes un pays fondamentalement social (pour ne pas dire plus) qui permet à toute personne de rebondir (RSA, formation professionnelle – association, État, Région-, CMU, aides aux paiements des factures énergétiques, aides au logement, association caritative, etc.). En clair, en France, il me semble que nous avons toujours le choix.




Néanmoins, il y a une réalité à ne pas dénier. Les réseaux clandestins, le proxénétisme, la prostitution d’abattage avec une dizaine de clients sinon plus par jour, le tout pour 30-50 euros. Effectivement, problème, dans ce cas, il y a, de manière irréfragable. Mais cette prostitution n’est pas choisie. Il n’y a donc pas qu’une prostitution, mais au moins deux auxquelles la république apporte une et une seule solution. L’interdiction. Et c’est sans compter les métiers de la pornographie qui sont totalement écartés de la loi… Souvenons-nous toutefois des mots d’Albert Camus : « la démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. »




Plus vieux métier du monde ? Fort probablement que non. Les premières traces de prostitution datent de -5000 av. J.-C. Pour différents auteurs, le plus vieux métier serait le chamanisme (et toutes les variantes). À noter, sans y trouver autre chose qu’un constat, que quelques espèces animales ont été observées en train de s’adonner à des formes de prostitution (nourriture/matériaux pour des nids, contre faveurs sexuelles), les chimpanzés et les manchots notamment.




Enfin, la question de l’utilité sociétale peut se poser, St Thomas D’Aquin, dans un phrasé métaphorique particulièrement romantique nous explique : «  [La prostitution…] est nécessaire à la société comme les toilettes à une maison : cela sent mauvais, mais sans elle(s), c’est partout dans la maison que cela sentirait mauvais. »




On relèvera pour finir que selon un sondage réalisé pour le compte du ministère des Droits des Femmes en octobre 2013, seulement 1 français sur 4 s’est prononcé pour une verbalisation (amende) des clients.




Alors, politique humaniste avant-gardiste ou retour d’un ordre sexuel moralisant ?




 




JB Moles

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