dimanche 25 mai 2014

Sujet du Mercredi 28/05/20014 : Faut-il éteindre les Lumières ?



                                Faut-il éteindre les Lumières ?

1.  Les Lumières sont-elles éteintes ? Non, pas encore totalement. Un fait patent et avéré : à peine ( !) une personne sur quatre ou cinq relève du désarroi psychique ou mental. Où sont dès lors les Lumières en ces temps postmodernes qui nient la Modernité, la rationalité et la science, toutes issues des découvertes et théories de Copernic, Galilée, Descartes ou Spinoza et d’autres ?

Justement nommées, les Lumières luttent contre les oppressions religieuses et politiques, l’irrationnel, l’arbitraire, l’obscurantisme et la superstition mais promeuvent le progrès par le renouvellement du savoir, de l’éthique et de l’esthétique. Pour les Lumières, le monde est compréhensible par la raison parce qu’il est ordonné par des lois qui le gouvernent. Cette démarche critique reposant sur la constante confrontation avec les faits est celle de la science. Elle détermine des comportements particuliers ainsi qu’une philosophie où prévaut le concept de sujet pensant « se rendant comme maître de la nature » (Descartes) et ayant des droits basés sur d’autres fondements que la seule tradition. L’idée qu’il y a des lois et des droits naturels conduit, par l’usage volontaire de la nature, à l’économie et à la politique (la Révolution française).

Les Lumières, c’est donc la sortie des hommes de l’état de tutelle dont ils sont eux-mêmes responsables par « la soumission volontaire » (La Boëtie). Les hommes réalisent que cet état ne tient pas à l’insuffisance de l’entendement mais à celle de la résolution et du courage de s’en servir pour acquérir une connaissance du réel (Kant) toujours meilleure et transformer le monde (Marx). Les lois gouvernent l’univers et les affaires humaines. Le pouvoir du Prince émane donc de la loi commune et non l’inverse (Machiavel). D’ailleurs Rousseau théorise la loi en tant que contrôle social comme relation réciproque entre les hommes. La liberté individuelle est une réalité imprescriptible, tandis que la rationalité des Lumières n’exclut en aucun cas la sensibilité parce que toutes deux dialoguent entre elles au sein de sa philosophie.

2.  Le postmodernisme actuel déconstruit tout cela. Comment ? Il promeut un individualisme tous azimuts où la subjectivité personnelle est exacerbée. Il s’en suit une perte de repère(s) : nous sommes désormais hors de l’empire disciplinaire des Lumières et dans la négation du concept de correspondance entre la vérité et le réel. Sous l’influence de Nietzsche et de la critique globale de la raison, ce que nous appelons le réel ne serait que la réalité qui - de façon inhérente – serait fragmentaire, hétérogène et plurielle. Ce que la philosophie occidentale a conçu comme le sujet de la pensée, le moi individuel, ne serait qu’un amas incohérent de pulsions, de désirs et de croyances : hubris et doxa. Cette conception favorise l’incrédulité envers les connaissances, à cette aune la science n’étant plus qu’un amoncellement de discours incommensurables plutôt qu’un moyen de rationnellement connaître le monde, le contrôler et enfin le transformer. Les faits avérés qui constituent la science et donc l’histoire elle-même qui en est une partie sont niés. C’est la fin de l’histoire (Fukuyama) et l’apparition de monades - tantôt pataudes, tantôt hallucinées - à la raison asthéniée.

Dès lors, dépourvu de fondements et du possible usage de la raison dans le fouillis des pulsions et de l’hubris et celui des assertions constamment variées de l’idéologie du «tout se vaut» puisque rien n’est avéré ni constant, le vécu de chacun devient schizoïde et psychotique dans la perception vive de sa différence radicale qui remplace tout sens de relations interhumaines unificatrices. Il y a comme une extase hallucinatoire - mais finalement démoralisante et opprimante - face à un bond majeur dans l’aliénation et la réification de la vie quotidienne. C’est, depuis les années 1960 et leur sophisme «il est interdit d’interdire», le passage accéléré au capitalisme mondialisé de consommation des multinationales caractérisé par la pénétration du marché dans tous les aspects de la vie sociale et de l’intimité jusque là fermés à la marchandise : destruction de l’agriculture précapitaliste par la «révolution verte», ascension des médias de multiples «n’importe-quoi» intéressés et de l’industrie de la publicité et de la mercatique sur les «temps (toujours plus longs) de cerveau et d’affects disponibles» (Patrick Lelay). Le postmodernisme prend la forme d’un flux de désinformation critique dont les centres d’intérêt sans cesse changeants cachent ses réels enjeux : faire que les hommes consomment et les  préserver d’un ailleurs (toute révolte ou insurrection).

« Les variations de sa forme lui donnent sa coloration de cirque et de fête foraine. Sa faculté de rendre crédible toutes les chimères lui confère une sorte de monopole quant à la maîtrise des processus de déréalisation des humains. Cette qualité lui confère une résistance à la critique de son absence de cohérence : au pays des mensonges déconcertants, seules importent la qualité des illusions et la crédulité des spectateurs. » (Servitude & simulacre, Jordi Vidal). Les luttes - quand elles existent encore - se sont délitées au point d’apparaître comme de nouveaux attributs d’un monde de plus en plus virtuel et factice. Ici, le culte (religieux) de la différence n’est qu’une diversion au goût du jour de l’échange marchand le plus violent : celui qui condamne toute pratique solidaire, méprise la vérité des faits et s’emploie à séparer ce qui était uni. Ici, chaque évocation de la liberté masque une pratique liberticide. C’est en condamnant le passé révolutionnaire et en s’appuyant sur la fabrication de leurres et de simulacres de récits complémentaires qu’on est parvenu à légitimer le modèle de société hypercapitaliste comme étant un «horizon indépassable». Cette société du chaos a supplanté celle du spectacle. Tout (et les personnes elles-mêmes) est devenu marchandises, jeté pèle mêle dans la désunion et le désordre.

« C’est l’expression d’une nouvelle régression dans l’histoire de la lutte des classes. Les stratèges de la société du chaos n’ont plus besoin de détourner ni de récupérer la théorie critique chez ceux qui remettent en cause cette société et la combattent. Ils écrivent et diffusent eux-mêmes une telle théorie et la font admettre comme étant la seule théorie critique possible. » (Jordi Vidal). Magnifique usage du sophisme sous l’apanage fallacieux de la démarche de la raison et des Lumières.

C’est le nouvel espace totalitaire et mondial où tout est pénétré et relativisé par l’insignifiance. Il y a une sorte de relation nécessaire entre trois émergences : la montée de formes culturelles postmodernes, l’apparition de modes toujours plus flexibles d’accumulation du capital et un nouveau cycle de compression très concret de l’espace-temps dans l’organisation du capitalisme. Le cycle du temps de ces trois formes chute sur celui de l’instant électronique devenu la trame concrète de nos vies. Depuis le milieu du XXème siècle, la coopération étroite entre l’Etat et les grandes sociétés dans un cadre national s’est dissoute au profit de l’expansion des investissements mondiaux (FMI, Banque mondiale) et du commerce (OMC) impulsée par le secteur privé des multinationales et des marchés financiers volatils. Ceci a déterminé une série de changements sociaux, économiques, scientifiques, techniques et culturels auxquels répondent l’éthique et l’esthétique du postmodernisme.

Se croyant légitimés à parler au nom des gens, les souteneurs de la déconstruction des Lumières -tout en prétendant à l’instar de la Gauche défendre les opprimés et lutter contre le sexisme, le racisme et l’impérialisme – soutiennent en sophistes le pire archaïsme politique, les plus sanglantes aliénation et barbarie religieuses, la récusation fallacieuse de la science comme un droit à la différence et l’apologie du communautarisme comme une actualisation du combat anti-impérialiste. 

Le combat contre ce système mortifère destructeur de toute humanité ne commence-t-il pas par le retour volontaire aux faits et à l’usage de la raison 

1) dans une éducation personnelle et réciproque dans des collectifs et 

2) dès l’enfance, en famille et dans une école de type scholè (de la Grèce antique) dont le but premier est l’acquisition de la maîtrise de soi par l’ascèse heureuse de la pratique des disciplines qui la développent et la fortifie pour faire des hommes des humains authentiques ?

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