samedi 16 août 2014

Sujet du Mardi 12/08 : Qui élit les peuples ?



Qui élit les peuples ?

La question peut dérouter. On élit des Présidents, des députés des maires. Le mode de suffrage peut être censitaire, interdit à certaines catégories de la population … Mais depuis la fin de l’ancien régime, globalement dans le monde occidental c’est le mode électif : peuple vers élus qui est la règle.
Pourtant l’expression « peuple élu », tirée de l’ancien testament ( «Tu es aujourd’hui devenu le peuple de l’Eternel ton Dieu» (Deut. 27:9) ) a été et reste utilisée. 

Les pères pèlerins qui, à bord du Mayflower, débarquent à Plymouth en 1620, voient dans le Nouveau Monde la Terre promise biblique où il leur revient d’établir le royaume de Dieu. Les mythes religieux ont toujours envisagé l’existence d’un paradis terrestre, d’un Eldorado, d’une Terre promise. Ainsi les premiers chrétiens ayant débarqué en Amérique du Nord croyaient-ils dur comme fer que c’était Dieu qui leur avait fait découvrir cette nouvelle terre. Selon ces puritains, la découverte du Nouveau Monde ne devait rien au hasard mais à une intervention de la Providence.

A de Tocqueville pouvait ainsi déclarer en 1832 « Depuis cinquante ans on ne cesse de répéter aux habitants des Etats-Unis qu’ils forment le seul peuple religieux, éclairé et libre. Ils voient que chez eux jusqu’à présent les institutions démocratiques prospèrent, tandis qu’elles échouent dans le reste du monde; ils ont donc une opinion immense d’eux-mêmes, et ils ne sont pas éloignés de croire qu’ils forment une espèce à part dans le genre humain

Et le sénateur de l’Indiana Albert Beveridge d’ajouter « Dieu a fait de nous les maîtres organisateurs du monde pour que nous établissions l’ordre là où règne le chaos. Il nous a rendus aptes à gouverner pour que nous puissions administrer les peuples barbares et séniles. Sans une telle force, ce monde retomberait dans la barbarie et la nuit. Et, entre toutes les races, il a désigné le peuple américain comme la nation de son choix pour finalement conduire à la régénérescence du monde

Un des meilleurs analystes américain, Jeremy Rifkin, fondateur et président de la Fondation pour les tendances économiques basée à Washington, écrit ceci : « Les Américains auront beaucoup de mal à s’adapter à un monde de relations et de courants sans frontière où chacun se trouve de plus en plus connecté en réseaux, de plus en plus dépendant des autres. Que devient le sentiment de la singularité américaine, la conviction d’être un peuple élu, dans un monde où l’exclusivisme cède constamment le pas à la cohésion ? (…) C’est une hypothèse qui peut faire sourire les Européens mais, croyez-moi, de nombreux Américains restent intimement persuadés de leur statut particulier d’élus de Dieu. S’ils devaient renoncer à cette idée, voire simplement douter de sa véracité, l’assurance et la confiance dans le rêve américain risqueraient d’en pâtir irrémédiablement. » 
 
On comprend alors la tentation permanente des États-Unis de transformer tout conflit en une lutte entre le Bien et le Mal. Après l’Union soviétique définie par plusieurs présidents américains comme « l’empire du Mal », ce sont aujourd’hui les régimes islamiques qui incarnent ce Mal contre lequel se dresse la vocation américaine au Bien. C’est encore Rifkin qui nous dit que, pour la majorité des américains, « l’idée d’un monde où tout est relatif les dépasse. » 

Mais c’est évidemment dans la tradition hébraïque que cette conception d’un peuple élu, trouve sa source       
« Au Sinaï un engagement réciproque a été pris entre Dieu et le peuple d'Israël. La segoula, l'élection, est inséparable de l'Alliance et impose au peuple une obligation particulière "d'écoute" de la voix divine

L'expression "vous êtes le moins nombreux de tous les peuples" est finalement un rappel à la responsabilité d'Israël, une responsabilité permanente, indépendante des aléas de l'Histoire.
La responsabilité de conserver, de maintenir, de sanctuariser et de faire rayonner dans le monde une éthique qui parait contradictoire avec les lois de la Nature, une éthique qui élève l'homme au dessus des lois de la Nature »  David Saada  

Tentons un résumé :

L'idée d'un "peuple élu" dans le sens biblique ou dans le sens sécularisé du nationalisme moderne, repose moins sur la perpétuation d'une tradition que sur le rapport particulier de ce peuple à l'histoire. Postulats :     
- le présent est fait de misère, de détresse ou de douleur. S'il faut un peuple élu, c'est à cause de ce manque majeur, de ce défaut ou de cette insatisfaction.        
- les peuples sont en attente d'un bouleversement, d'un temps nouveau. Pas de "peuple élu" sans cette dimension prophétique.   
- pour se défendre contre la menace, le péril, la catastrophe ou même l'apocalypse, il faut un sacrifice ou un meurtre sacré. Le "peuple élu" doit tuer ou être tué. A ce prix seulement il peut remplir sa mission universelle.   
- le "peuple élu" a sa culture, sa langue liée à son destin. S'il faut préserver cette langue et cette tradition, c'est à cause des trois premiers points.
Une fois ce résumé posé retenons qu’il ne repose que sur des prémisses d’une parole dite révélée, sacrée. Tout ne repose que sur l’acceptation d’un dogme, d’une croyance …..
Alors il nous appartiendra de choisir entre un débat théologique et une disputatio philosophique.

Il nous faudra choisir entre  la discussion sur les « idées pures » et une démonstration de la nocivité de la permanence d’idéaux fondés sur des « révélations » (au demeurant contredites par l’archéologie !). Idéaux, et/ou idéologies qui depuis des siècles jusqu’à nos jours ne sont que des concepts dociles aptes à couvrir tous les crimes contre l’humanité.

Depuis plus de 2000  ans, on ne fait jamais d’aussi « bonnes » guerres qu’au nom du bien !


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