lundi 8 juin 2015

Sujet du Merc. 10 Juin : intelligence ou diplôme ?



                        INTELLIGENCE OU DIPLÔME ?

« Je n’hésite jamais à le déclarer, le diplôme est l’ennemi mortel de la culture. Plus les diplômes ont pris d’importance dans la vie (et cette importance n’a fait que croître à cause des circonstances économiques), plus le rendement de l’enseignement a été faible. Plus le contrôle s’est exercé, s’est multiplié, plus les résultats ont été mauvais. Mauvais par ses effets sur l’esprit public et sur l’esprit tout court. Mauvais parce qu’il crée des espoirs, des illusions de droits acquis. Mauvais par tous les stratagèmes et subterfuges qu’il suggère ; les recommandations, les préparations stratégiques, et, en somme, l’emploi de tous expédients pour franchir le seuil redoutable. C’est là, il faut l’avouer, une étrange et détestable initiation à la vie intellectuelle et civique.
D’ailleurs, si je me fonde sur la seule expérience et si je regarde les effets du contrôle en général, je constate que le contrôle, en toute manière, aboutit à vicier l’action, à la pervertir… Je vous l’ai déjà dit : dès qu’une action est soumise à un contrôle, le but profond de celui qui agit n’est plus l’action même, mais il conçoit d’abord la prévision du contrôle, la mise en échec des moyens de contrôle. Le contrôle des études n’est qu’un cas particulier et une démonstration éclatante de cette observation très générale.
Le diplôme fondamental, chez nous, c’est le baccalauréat. Il a conduit à orienter les études sur un programme strictement défini et en considération d’épreuves qui, avant tout, représentent, pour les examinateurs, les professeurs et les patients, une perte totale, radicale et non compensée, de temps et de travail. Du jour où vous créez un diplôme, un contrôle bien défini, vous voyez aussitôt s’organiser en regard tout un dispositif non moins précis que votre programme, qui a pour but unique de conquérir ce diplôme par tous moyens. Le but de l’enseignement n’étant plus la formation de l’esprit, mais l’acquisition du diplôme, c’est le minimum exigible qui devient l’objet des études. Il ne s’agit plus d’apprendre le latin, ou le grec, ou la géométrie. Il s’agit d’emprunter, et non plus d’acquérir, d’emprunter ce qu’il faut pour passer le baccalauréat.
Ce n’est pas tout. Le diplôme donne à la société un fantôme de garantie, et aux diplômés des fantômes de droits. Le diplômé passe officiellement pour savoir : il garde toute sa vie ce brevet d’une science momentanée et purement expédiente. D’autre part, ce diplômé au nom de la loi est porté à croire qu’on lui doit quelque chose. Jamais convention plus néfaste à tout le monde, à l’Etat et aux individus (et, en particulier, à la culture), n’a été instituée. C’est en considération du diplôme, par exemple, que l’on a vu se substituer à la lecture des auteurs l’usage des résumés, des manuels, des comprimés de science extravagants, les recueils de questions et de réponses toutes faites, extraits et autres abominations. Il en résulte que plus rien dans cette culture adultérée ne peut aider ni convenir à la vie d’un esprit qui se
développe ».
Extrait de Paul VALÉRY, in Le Bilan de l’intelligence, 1935
Alors alors, que dire de plus après la lecture de ces propos de Paul VALÉRY ?
Paul VALÉRY, en 1935, un écrivain, poète et philosophe reconnu, dont les poèmes étaient étudiés jusqu’à Tokyo, en français, par des étudiants… qui lisaient et apprenaient par cœur « Le cimetière marin », pour le plaisir !
RABELAIS et MONTAIGNE critiquaient l’université comme NIETZSCHE et tant d’autres le feront par la suite, trouvant destructeurs les méthodes académiques ou normalisées. Lorsque Dick MAY officialisera l’École de journalisme avec un diplôme d’État, pour une carte emprisonnant un métier de plus, à la demande du député BRACHARD, le journal l’Illustration écrira :
« L’École des Journalistes risque fort d’être
une nouvelle succursale de la grande École des ratés ».
Le diplôme ne donne pas la certitude de la qualité du récipiendaire, surtout quand les études sont orientées vers la médiocrité et l’uniformisation, voire l’endoctrinement.
Les écoles sont davantage des centres de formatages avec le danger toujours plus réel des « tricheries » ou des « achats », voire des « complaisances » pour accrocher une liste de performances valorisantes en politique notamment.
Combien de notables ou de politiques se bâtissent des listes de diplômes afin de s’imposer face aux crédules pour régner ?
Le diplôme n’est pas une preuve certaine de valeurs humaines ou de connaissances professionnelles…
Oui, un médecin au diplôme jauni, accroché dans son cabinet, est-il un bon médecin ? A t-il été honnête dans ses études ? Et quelle gloire pour un médecin diplômé quand il exerce « son art » dans un camp, ou qu’il devient accusateur public, juge et bourreau à Cuba ; ou lorsqu’il signe ses livres du nom de Louis Ferdinand CÉLINE ? Il y a l’honnêteté, et la grandeur d’âme qui doit s’associer à toute connaissance.
Ce qui semble important, c’est la nécessité d’apprendre, et de chercher toujours d’avantage le savoir, sans s’enfermer dans des vérités étatiques ou religieuses.
Le diplôme ne doit pas être au service d’une politique, d’un système, d’une religion.
Il y a donc l’intelligence…
C’est alors que l’intelligence prend de l’importance : la capacité à observer, discerner, à critiquer.
Il y a l’art d’apprendre en accueillant le fait que comprendre n’est pas naturel.
L’intelligence de savoir dire « non ».
L’intelligence de remettre une certitude en question…
Ingurgiter des données pour les restituer à un jury, n’est pas un signe d’intelligence.
L’art de la critique comme l’inquiétude face à l’inconnu est plus subtil, mais davantage audacieux que le hochet qui rassure, ou la vérité d’un diplôme qui enferme.
Et enfin, que penser face à tout diplôme, de l’intelligence du cœur ?

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