lundi 14 décembre 2015

Sujet du Mercredi 16/12 : PEUT-ON CROIRE SANS ETRE TROMPE ?



                                         PEUT-ON CROIRE SANS ÊTRE TROMPE ?
« Je crois » ; « Je ne crois pas » ; « J’y croyais » ; « Je n’y crois plus » : ce sont là des phrases que nous utilisons tous les jours. Mais croire à quoi ? Croire à qui ? Pourquoi croire ? Peut-on croire sans être trompé ?
Si, bien entendu nous ne pouvons pas répondre à chacune de ces questions, en répondant à la dernière, nous répondons en partie aux premières.  Alors peut-on croire sans être trompé ?

Le sujet n’est pas nouveau et Dieu sait qu’il a déjà fait l’objet à plusieurs reprises de débat ici dans cette salle. Mais il existe plusieurs façons de traiter un même sujet.
Alors pour répondre à la question posée, nous devons d’abord chercher à savoir ce qu’est  « croire » ou « ne pas croire » ? Quelle est l’origine de l’une ou de l’autre ?  Quand nous croyons dans la fiction, sommes-nous trompés ?
Vous l’avez compris, à travers la définition du mot « croire » il va se dégager l’idée qu’il est difficile de croire sans être trompé dans une première partie.
Et dans une deuxième partie sera développée l’idée que croire ou ne pas croire ne dépend pas forcément de nous et que l’on peut croire sans être trompé, tout dépend de ce en quoi l’on croit.

Croire, un verbe porteur d’une connotation péjorative.
De nos jours, dans les sociétés occidentales, croire, c’est un défaut, c’est s’incliner vers quelque chose qui confine à la bêtise. Et pourtant on pourrait considérer que croire est une qualité, celle qui consiste à faire confiance aux autres. Non. Croire est plutôt considéré comme être naïf, simple d’esprit, sot, dupe.
N’oublions pas que toute la tradition philosophique de la Grèce Antique avait fait de la prudence, l’une des quatre vertus cardinales et théologales à côté du courage, de la tempérance et de la justice.
Pour Platon, la prudence dispose la raison pratique à discerner en toute circonstance le véritable bien et à choisir les justes moyens de l’accomplir.

Épicure plaide en faveur de la prudence et contre la crainte de Dieu et la crainte de la mort qui poussent à croire. Il préconise la recherche de plaisir raisonnée. Le plaisir est donc pour lui le commencement et la fin d’une vie bienheureuse. Epicure ne fait pas un plaidoyer d’un hédonisme sans borne. Si la recherche d’un plaisir effrénée peut immanquablement conduire à des troubles et à des inquiétudes, une recherche prudente du plaisir mène au bonheur. Le bonheur n’est donc pas dans les croyances mais dans des plaisirs bien calculés.

Diogène LAERCE mentionne que « De la prudence viennent la maturité et le bon sens ».
La prudence c’est donc la réflexion préalable et la prévoyance par lesquelles on évite les dangers de la vie. Et croire empêche cette forme de réserve et de défiance qu’est la prudence.
La crédulité conduit à développer une certaine propension qui pousse un esprit à croire trop facilement, trop hâtivement et sans examen critique.
Croire trop facilement, à un certain degré, c’est être crédule, c’est prendre le risque d’une pathologie de croire, développer une certaine passivité qui s’attache à toute croyance.  En congédiant la preuve, la croyance se place dans l’impossibilité d’avancer des motifs rationnels.
En ce moment, croire revient toujours à accepter la possibilité d’être trompé, ce qui peut aboutir à l’abandon de l’esprit critique.

Pour Alain, le doute est le sel de l’esprit et croire, c’est dormir les yeux ouverts comme le font les bêtes. Il faut donc se réveiller c’est-à-dire se refuser à croire sans comprendre, examiner, chercher.
Croire c’est toujours obéir selon Alain et l’obéissance d’esprit est toujours une faute. Croire, c’est être docile, se soumettre facilement à l’autorité.
Les croyances occupent une place importante chez les enfants ( croyance au père Noel, à la Cigogne qui apporte des bébés).
Mais elle n’est pas le propre des enfants. On mentionne souvent la crédulité des anciens et des primitifs. Et lorsqu’on refait le tour de la mythologie grecque, on se demande aujourd’hui comment les Grecs de l’époque ont pu croire ces fabulations.

On s’est aussi interrogé sur ce que Levy Brühl a pu appeler la mentalité primitive. Cette croyance naïve en des forces et des puissances occultes qui explique la docilité selon lui de ces hommes.
L’ethnologue soutient que l’enfant comme le primitif possède une mentalité prélogique.

Mais la crédulité est une attitude de tous les temps et de tous les pays. Partout où il y a des hommes, il y a des esprits crédules. Et parce qu’il y a des crédules, il y aura des imposteurs, des séducteurs, des rhéteurs, des sophistes pour exploiter cette crédulité.
Nous y croyons les yeux fermés, nous y croyons dur comme fer.
Faut-il pour autant refuser de croire, être incrédule ?

L’incrédule refuse qu’une croyance puisse lui venir de l’autre. S’il doit recourir à une croyance, celui-ci sera entièrement à son initiative : « Je ne croirai pas une telle histoire, me fut-elle contée par Platon ».
Et là le pari  de Pascal nous vient à l’esprit. «  Abêtissez vous » disait Pascal, « car en réalité, nous sommes automates autant qu’esprit ».
Poussé à un certain degré, l’incrédulité devient une maladie de la confiance. On pourrait considérer la jalousie comme un refus maladif de faire confiance.

II-Croire ou ne pas croire ne dépend pas forcément de nous et l’on peut croire sans être trompé.

Sartre dans l’idiot de la famille nous explique que cette propension à la passivité qui nous pousse à croire facilement, trouve son origine dans l’enfance du sujet qui croit.
Sartre nous raconte que Gustave Flaubert a connu des blocages affectifs et caractériels pendant son enfance. Il aurait pour cela développé une sorte de structure passive qui aurait contribué à faire de lui un prisonnier de la croyance. L’enfant est habité par le besoin de croire et de faire croire, ce qui lui permet d’exister.
Le manque chez Flaubert viendra de la mère, Marie Caroline, marquée par les deuils et la mort ( sa propre mère était morte en la mettant au monde) : ce que les psychanalystes appellent la malédiction de la mère.
Femme de devoir et de religion, elle accepte son fils mais celui-ci n’est pas désiré.
Cette pénurie de tendresse sera pour Gustave, un manque irrémédiable. L’enfant se tourne alors vers son père, qu’il va adorer, mais qu’il décevra ; Gustave en effet échouera à l’apprentissage de la lecture. D’où la condamnation paternelle : « Tu seras l’idiot de la famille ».
Gustave ne se remettra Jamais de cette condamnation. Il devient une créature passive, passivité qui se manifeste par les hébétudes et par la crédulité. L’enfant Flaubert est un enfant rêveur, crédule et naif. Flaubert restera toute sa vie soudée à la petite enfance.  « Gustave n’est jamais sorti de l’enfance, écrit Sartre ». La mort de son père le libérera. C’est alors que Flaubert va tenter, écrit Sartre de compenser « sa pauvreté d’être » en faisant le choix de l’art, de l’écriture, de l’irréel.

Le cas Flaubert montre que la crédulité peut résulter d’une immaturation d’une dépendance aux parents qui n’a pas pu être surmontée. Impuissante à se poser comme autonome, la conscience crédule ne parvient pas à s’affirmer, elle reste infantile et puérile. Gustave souffrira toute sa vie du syndrome dira Sartre « d’un égo absent ». Il est aliéné.
On pourrait également raconter dans le même prolongement l’histoire de Freud qui, à l’âge 8 ans, et ayant fait pipi dans son pantalon, son père lui dit : « Tu n’as n’arriveras à rien ». Marqué à vie par cette invective, Freud s’investit et sera le plus grand psychanalyste de tous les temps pour prouver à son père le contraire de ce qu’il a pensé.
Si l’on envisage le cas de la fiction dans son rapport à la croyance, on peut dire qu’elle est un produit de l’imagination, de l’esprit. Elle renvoie aux créations de l’art, du théâtre, du cinéma et de la littérature. De ce point de vue, la fiction se définit par un écart avec la réalité.
Pour pénétrer l’univers fictionnel, il faut d’abord que l’esprit y donne son adhésion. Peut-on pour autant, dans le cas de la fiction, parler d’un phénomène de croyance ? Le lecteur ou le spectateur croit-il à l’existence du personnage que représente un acteur ? Peut-on parler de mensonge ? Le lecteur d’une œuvre littéraire peut-il accuser l’auteur de l’avoir trompé ?
Nous nous heurtons ici, en effet, au paradoxe de la fiction.

lundi 7 décembre 2015

Sujet du Jeudi 10 Décembre 2015 : Le complotisme.

Attention exceptionnellement discussion le jeudi 10 décembre, pas le mercredi 09

SUR FACEBOOK  : CAFEPHILO  MONTPELLIER                       

   Le complotisme

La théorie du complot répond à l’intérêt que nous avons à connaître la vérité et, à la fois, à tout simplifier. 

Un sondage qui date maintenant de quelques mois nous apprenait qu’un Français sur cinq croit dans l’existence des Illuminati (secte dissoute à la fin du XVIIIe siècle qui a été mise à l’honneur dans le roman Anges et démons de Dan Brown et dont le nom vient certainement des Lumières et se confond souvent avec la Franc-Maçonnerie qui représente, elle, un ensemble d’organisations réelles et plus ou moins discrètes). Les Illuminati sont, selon une croyance répandue, censés régir le monde à notre insu. Evidemment, rien ne le prouve, tout est toujours dans le décryptage – de multiples vidéos en témoignent sur internet. Mais ce qui réunit la plupart des multiples théories du complot (dont une des dernières porte sur les chemtrails) et qui flatte très souvent les déçus de tout (de la politique, des médias…), les méfiants, ceux qui ont le sentiment que le monde dans lequel ils vivent leur échappe, c’est qu’elles prétendent que LA vérité est ailleurs et que le discours officiel cache d’inavouables complots (un ou divers) qu’il faudrait décrypter.

La théorie du complot est, en réalité, une des manières de substituer à l’analyse des idées et des mécanismes socio-économiques, la dénonciation d’ennemis imaginaires (avec tout les dangers que cela comporte). C’est une manière de donner une mauvaise réponse à une bonne question. C’est une mystification autant qu’une erreur de catégorie.
    Le complotiste préfère le simple au complexe
Les autres nous semblent lointains et étrangers, nous ignorons leurs pratiques et leurs attentes. Comment se mettra-t-on d’accord, peut-on vivre avec eux, peut-on leur faire confiance, n’essaient-ils pas de nous nuire ? La question du complot renvoie aux difficultés de la coordination des intérêts dans une société vaste où les points de vue et les situations individuelles sont multiples et très souvent hétérogènes ou incompatibles, où la plupart du temps, les uns ignorent les autres et les réseaux de relation sont divers. L’hypothèse d’un complot permet alors de rendre à l’ensemble social son unité et sa signification perdues. Elle remet de l’un au lieu du multiple, du simple au lieu du complexe. Elle satisfait l’intérêt de notre raison pour le sens. Mais elle relève du raccourci.
Pourtant, face à cela deux types de discours homogénéisant se dressent : le discours dominant et son opposé, celui qui le désigne comme un fausse-monnaie. Si le discours dominant et sa critique sont légitimes, la théorie du complot vient s’insérer entre les deux, car loin d’être un démontage du discours dominant, elle surfe sur l'angoisse d'un monde qui nous échappe. Elle prétend donner à voir l’envers des choses et montrer l’arrière-monde qui, telle l’arrière-boutique du commerçant, est le lieu où tout se décide selon d’inavouables intentions. Or, le complot élevé en théorie présuppose la capacité d’un petit nombre d’individus très souvent impossible à désigner autrement que par une étiquette vague (Illuminati, judéo-maçonnisme, sionisme…), de mener à bien un plan introuvable contre des personnes ou des institutions indéterminées.
    Le complotisme est un refuge pour l’ignorance
Ceux qui mobilisent le conspirationnisme n’ont souvent aucune connaissance réelle des fonctionnements sociaux, politiques et économiques dont ils parlent. Ils n’ont aucune preuve tangible à apporter. Ils s’appuient sur des signes qu’ils décryptent d’une manière souvent pas très claire et qui viennent confirmer des présuppositions antérieures à tout savoir et à toute enquête rigoureuse : rien n’arrive par hasard. Ils jouent à se faire peur en essayant de corroborer l’existence d’êtres pervers fantasmés comme groupe homogène et animé d'un puissant désir de domination (les juifs, les Illuminati, les Francs-Maçons et tous les autres groupes réels ou supposés animés par un intérêt commun à dominer le monde) qui ne se montreraient que par signes : une sorte de nouvelle divination adaptée aux temps modernes. Mais cette posture intellectuelle relève du délire d’interprétation.

Hypostasier (considérer comme ayant une réalité) le complot est une manière rhétorique de donner du sens à une société, en réalité, illisible. Elle nous échappe, on imagine donc des hommes qui en tireraient les ficelles. On crée des comploteurs, des plans maléfiques, des vérités cachées sous l’écume des vagues. C’est la logique heuristique (art d’inventer) de la méfiance et des passions tristes qui sert de règle à l’analyse complotiste. On ne connaît ni l’objet du complot, ni ses parties-prenantes. Mais on sait qu’il y a une méchante conspiration responsable de tous les maux qui nous accablent. Il s’agit là d’une illusion productive : grâce aux lunettes qu’elle offre, on voit enfin un monde structuré par des comploteurs.
Ce qui caractérise les discours complotistes, c’est qu’ils fonctionnent dans l’ordre symbolique : repérage des bons et des mauvais ; recherche des formes ou des actions significatives ; mise en évidence des petits signes, des indices d’une intention cachée. On repère les comploteurs, on les étiquette. On cherche les traces du complot. Les délires complotistes ne sont pas des explications mais des interprétations qui relèvent du raccourci : expliquer les causes par les fins, les mécanismes par des intentions, c’est facile. Mais depuis Epicure et Spinoza, on sait que cela relève de la superstition, très éloignée des exigences propres à l’enquête rigoureuse pourtant nécessaire à l’établissement de la connaissance.
    Raviver le discours critique contre le discours complotiste
Si l'approche complotiste relève de la superstition, il ne faut pas renoncer à donner une réponse correcte aux questions qu'elle soulève. Contre le complotisme, il faut donc réactiver l'intelligence critique des phénomènes de masse en s'intéressant à la manière dont s’intériorisent progressivement des croyances et des pratiques potentiellement néfastes (pratiques de concurrence et de prédation, esprit mercantile intéressé, vaine gloire, spéculation, ambition destructrice, réification, exclusion, domination, pensée unique…). Il n’y a, dans tout cela, que les agents d’une même société qui s’accordent, sans le savoir, de manière presque spontanée, sur des grilles de lecture du monde qui finissent par les enfermer, qui acceptent de se soumettre à un ordre réputé impersonnel et nécessaire au nom de leur bonheur ou de la crainte du désordre (sur le mode d'une "servitude volontaire" dont La Boétie nous a offert, voici plusieurs siècles, une analyse magistrale), qui intériorisent la contrainte pour la reproduire et qui finissent par dire qu’il n’y a pas d’alternative.

S’il y a certainement des ententes entre des personnes puissantes dotées de profonds intérêts communs, il est impossible, sans abus, de parler de complot, car promouvoir un discours et des pratiques dépend d’une multiplicité de facteurs immaîtrisables qui dépassent y compris une poignée de puissants. Aucun phénomène social de masse ne peut, en effet, relever d’une intention délibérée, ce sont des effets des mécanismes socio-économiques complexes et toujours ambigus.

Aussi est-il intéressant d’étudier les opérations par lesquelles une idéologie devient peu à peu dominante. La sociologie critique d'un Bourdieu ou d'un Boltanski, Marx ou Foucault, par exemple, nous en donnent des clefs. Tous ces phénomènes de contagion idéologiques massifs relèvent des structures socio-économiques, ils doivent être traités à ce niveau : celui de la critique des idéologies et des mécanismes sociaux. Rechercher derrière cela l’intention délibérée d’une bande de conspirateurs est évidemment une erreur de catégorie, une simplification et une mystification qui empêche le progrès de l’intelligence et la fait sombrer dans la barbarie du phénomène du bouc-émissaire.
Face à la production d’un discours dominant, il faut éviter l’écueil de la facilité et raviver la pensée critique. La pensée critique nous montre, par l’intelligence du réel plutôt que par l’invention d’un monde caché et d'ennemis invisibles, que la machine à produire des discours tout faits est, en vérité, là sous nos yeux, qu’il n’y a que du visible (moyennant l’accès à l’information, l’effort pour s’informer et pour questionner). 

(Large extraits d’un texte de Pierre Crétois)

Sujet du Merc. 23/03/2024 : Le cas Nietzsche.

                                   Le cas Nietzsche.       Pourquoi un tel titre ? Qui aurait l’idée de dire « le cas Diderot », ou « le c...