dimanche 31 janvier 2016

Sujet du Mercrec. 03 Fev. : Le fanatisme est-il une peur de la vérité ?



                           Le fanatisme est-il une peur de la vérité ? 
 
Il s'agit ici de vous interroger sur le fanatisme et son rapport à la vérité. Qu'est-ce que le fanatisme ? C'est l'attitude de soumission intellectuelle à un dogme ou une croyance qui conduit l'individu à une sorte de perte de toute capacité de discernement. Le fanatisme est évidemment très dangereux, il s'accompagne généralement de violence et de mépris à l'égard de l'autre. Toutefois, est-ce seulement par peur de la vérité que l'on peut être conduit au fanatisme ?..     

            Le fanatisme réunit en son sein l'illusion, l'intolérance et l'enthousiasme. Le fanatique vivra dans l'illusion, il sera donc dans l'erreur sans en avoir conscience, prendra le vrai pour le faux et le réel pour l'imaginaire ou l'idéal. On parle à ce propos notamment de fanatisme religieux ou politique, la réalisation d'un idéal est visée alors même qu'elle s'oppose à la réalité. Ainsi les hommes dits fanatiques sont aveuglés par un idéal qui s'oppose à la réalité à tel point qu'ils considèrent cette réalité comme étant une erreur ou devant être changée. La vérité alors se trouve du côté de l'idéal et non du côté de la réalité. Le fanatique, le religieux enthousiaste ou l'homme politique zélé, a pour but de la réaliser et pour ce faire doit faire de son idéal une réalité qui remplacera la réalité existante. D’autre part le fanatisme a pour caractéristique d’être intolérant c'est-à-dire que la seule cause qui vaille est la sienne et toute personne ne se ralliant pas à sa cause est un ennemi et est dans l'erreur. Enfin le zèle est inhérent au fanatique. Ce dernier est un passionné, il n'agit pas avec sa raison mais avec son coeur, c'est la conviction, qui l'anime, qui oriente ses actions. Ces trois caractéristiques du fanatisme nous permettent de mieux cerner l'écart qu'il y a entre le fanatisme et la vérité. En effet la définition de la vérité s'oppose trait pour trait à la définition du fanatisme. La vérité s'oppose à l'illusion puisque cette dernière est une erreur inconsciente et que loin de rechercher la réalisation d'une autre réalité, la vérité s'accorde avec la réalité présente. D'autre part la vérité, pour être, doit pouvoir recevoir l'assentiment de tous, elle ne peut donc être le privilège de quelques uns. Enfin la vérité est en accord avec la raison humaine et s'oppose aux passions qui ont tendance à plonger l'homme dans l'erreur. Cette opposition justifie-t-elle une identification du fanatisme à une peur de la vérité ? 

Pourquoi le fanatisme devrait-il craindre la vérité ? La vérité est objet de crainte pour le fanatisme puisqu'elle est en mesure de saper ses fondements. Elle peut dénoncer l'illusion sous-jacente. Mais si la vérité est accessible comment le fanatisme peut-il exister ? Comment peut-on préférer l'illusion à la vérité ? La vérité serait rendue inacceptable par la discordance de nos aspirations avec la réalité. Le fanatisme alors serait une façon de compenser l'impuissance de la réalité à répondre à nos attentes, une façon de la fuir dans l'attente d'une autre réalité que nous aurions le devoir de bâtir. Nous retrouvons alors la troisième caractéristique du fanatisme à savoir le zèle. Les passions, en son sein, peuvent se manifester librement, elles en sont même le moteur. La volonté de changer ce qui est, ce qui nous entoure, permet de donner à l'action une fécondité particulière. La vérité, qui est en accord avec la réalité, trouve dans le fanatisme un adversaire de taille qui tend à la remplacer par une autre vérité, celle d'un idéal à construire. Mais ce remplacement est un leurre puisque la vérité fanatique est une illusion, elle ne permet au fanatique que de se réfugier dans un monde imaginaire. Ainsi nous sommes en face de deux impasses. La première réside dans l'inanité de la volonté fanatique à vouloir changer la réalité. La deuxième réside dans la possible discordance entre nos aspirations et la réalité.


  Le fanatisme a foi dans une vérité.    

1-
Le fanatique défend sa vérité.   « Il leur suffit de trouver une hypothèse quelconque sur une matière donnée, et les voilà tout feu tout flamme pour elle, s'imaginant qu'ainsi tout est dit. Avoir une opinion, c'est bel et bien pour eux s'en faire les fanatiques et la prendre dorénavant à cœur en guise de conviction. Y a-t-il une chose inexpliquée, ils s'échauffent pour la première fantaisie qui leur passe par la tête et ressemble à une explication; il en résulte continuellement, surtout dans le domaine de la politique, les pires conséquences. » Nietzsche Humain trop humain §635   
 
2- Comment une erreur devient une vérité ou de la naissance d'une illusion. C'est une superstition intéressante que la foi puisse transporter les montagnes, qu'un certain degré élevé de conviction transforme les choses conformément à cette loi, que l'erreur devienne vérité pourvu qu'il ne s'y trouve pas un grain de doute : c'est-à-dire que la force de la foi comble le manque de connaissance ; le monde devient tel que nous nous le représentons.

Est-ce que le fanatique philosophe ? Ou bien écoute-t-l ses passions ? Où est la place de la vérité dans les dogmes fanatiques ?


vendredi 22 janvier 2016

sujet du Merc. 27/01 : « C’EST QUE PHILOSOPHER NE PERMET PAS QU’ON NE FASSE QU’ASSURER, QU’IMAGINER, QU’ALLER ET VENIR ARBITRAIREMENT PAR LA PENSÉE EN RAISONNANT » (Hegel, 1820)



      « C’EST  QUE PHILOSOPHER  NE PERMET  PAS  QU’ON  NE  FASSE QU’ASSURER, QU’IMAGINER,  QU’ALLER  ET  VENIR  ARBITRAIREMENT PAR  LA  PENSÉE  EN  RAISONNANT » (Hegel, 1820)

Que nous dit Hegel ? Quel sens véhiculent ces paroles de 1820 sur le philosopher ? Que serais-je, que serions-nous, que seraient les « philosophes » postérieurs à lui face à son énoncé lapidaire, mais vrai, à prétendre que philosopher permettrait de ne faire qu’assurer des choses de manière arbitraire ou de tout simplement les imaginer ? Et que serions-nous de le faire en allant et en venant par la pensée au gré de la fantaisie du moment, tout en raisonnant ? (Pourvu qu’en la circonstance raisonner soit encore assuré…). La question est là, simple et modeste, mais … verticale. Malgré cela, elle paraît pourtant triviale à ceux qui l’écartent, par inconscience ou par mauvaise foi. Mais elle demeure. Est-ce philosopher le moins du monde que de n’avoir comme critère que sa conscience, son bon vouloir ou l’humeur du moment ? Non. Malgré cela souvent ne le fait-on pas quand même ?

Depuis le début du 19ième siècle jusqu’à ce jour, la dérive de la philosophie a consisté à élever au rang de vérité « ce que moi, je trouve là dans ma conscience. ». Je m’imagine que «  l’assurance que moi, je trouve là dans ma conscience un certain contenu (est) l’assise fondamentale de ce qui est donné comme vrai. ». Cela consiste à croire que la conscience intuitive immédiate qu’acquiert un philosophe (ou que j’acquiers) lui (me) suffit à dire la vérité sur le monde. Quelle illusion !

Pourtant, cette dérive est aujourd’hui très répandue parmi les philosophes de métier. Beaucoup d’entre eux croient qu’il suffit « d’aller et de venir arbitrairement par la pensée en raisonnant », de publier ensuite ce qu’ils pensent, puis de figurer en tête de gondoles télévisuelle et radiophonique mercantiles, pour enfin venir pérorer dans salons et cafés tels Deleuze, Derrida, Foucault, Ferry ou Lévy, Sponville ou Onfray et tutti quanti. A cette aune, chacun d’entre nous se croira un jour autorisé à imaginer que son ressenti, pensé ou pas, vaut vérité. Et qu’il le vaut dès lors au même titre que celui du voisin. Chacun se prendra pour la poule aux œufs d’or qui en pond un chaque jour ou à chaque fois qu’il ouvre le bec. On ouvrira l’œuf, on le trouvera vide. Ce relativisme où tout est vrai au point que tout s’annule conduit au néant ; dans lequel le nihilisme fonde la raison du plus sophiste, du plus roué, du plus adroit. La loi du plus fort des riches et des puissants a alors tout loisir de s’imposer en douceur (Tocqueville), après avoir généralisé le désarroi cognitif et chaudement encouragé les pulsions les plus débridées de réification. Y sommes-nous rendus ?

On peut lutter de deux manières contre cette dérive mortifère qui consiste à « penser » que ce que nous croyons est vrai, pourvu que nous en soyons convaincus (« con-vaincus », oui, ainsi que juste démontré). Et d’ainsi tuer toute pensée, dans l’œuf. 
 
1°.   La première manière consiste à soumettre « ce que je trouve là dans ma conscience » à des vérifications : y a-t-il des arguments, ou des faits, qui viennent conforter mes certitudes, ou mes opinions, ou qui semblent au contraire les contredire ? C’est la méthode de Karl Popper, célèbre philosophe des sciences contemporain. Qu’il faut lire pour le dénoncer. Il recommande d’avancer pour commencer l’une ou l’autre hypothèse, même à volonté (on reconnaît notre époque), à savoir une réponse (!) à la question qu’on se pose, et ensuite de la tester par des observations ou des expériences (là, ça va déjà un peu mieux). Nous adoptons souvent cette démarche pernicieuse à plus d’un égard :   1)  Elle permet de seulement espérer conforter ou écarter nos opinions préconçues, considérées comme une hypothèse dont on essaye de tester la pertinence. Outre la perte de temps presque certaine qu’elle implique -- car, le plus souvent, l’hypothèse s’avère fausse --, elle exclut entretemps la considération d’autres hypothèses, elles aussi plausibles et presqu’à coup sûr meilleures.   2)  A cela il faut ajouter que cette façon de procéder, parce qu’elle nécessite souvent un long travail de recherche, imperceptiblement enferme l’esprit dans le cadre restreint de l’hypothèse retenue qui elle, à la longue, se convertit alors souvent en dogme confinant petit à petit à un totalitarisme de la pensée, des intérêts ainsi acquis et des actes pour les promouvoir.  3)  La philosophie et la science alors disparaissent, ainsi qu’il s’est avéré par l’absence de découvertes fondamentales dans ces domaines depuis l’instauration de cette démarche.

2°.   La deuxième manière consiste précisément à ne pas faire d’hypothèse mais, au contraire, à mettre entre parenthèses nos convictions et toutes nos opinions en général ; et à nous informer le plus complètement et le mieux possible sur ce que nous cherchons à expliquer, à savoir l’objet philosophique en question. Avant de parler ne faut-il pas « connaître son affaire » ? Faisons-nous souvent cela : un peu, beaucoup, pas du tout ? Ou faisons-nous surtout ce que Hegel stigmatise comme inacceptable ? Newton n’annonçait-il pas : « Hypotheses non fingo », « Je n’échafaude pas d’hypothèse » ? Comme lui, dirons-nous, « je me contente d’expliquer les faits observés, sans émettre de suppositions supplémentaires, lesquelles n’ont aucun caractère de nécessité » et apparaîtraient de ce fait comme arbitraires et gratuites ?
Cette deuxième manière est celle qui a fait le succès des sciences modernes, tant naturelles qu’humaines. Elle fut initiée par des débats argumentés à la charnière des 6ième et 5ième siècles dans la Grèce antique à la faveur d’une crise sociale et civilisationnelle majeure, peut-être similaire à la nôtre aujourd’hui (pensons-y), qui déboucha sur la démocratie. Celle-ci  correspondit à un esprit de sédition et de refus d’obéissance politique radicalement nouveau qui, écartant les « on-dit » des mythes, les rites, les dieux et les croyances vaines parce que fausses, engendra la philosophie puis, peu après, la science en une démarche commune de recherche de vérités. Elle perdura jusqu’à Hegel et Marx, mais infiniment moins par la suite. Hegel dénonça cette dérive pernicieuse. Marx s’engage lui aussi sans a priori dans l’étude philosophique et scientifique de la société et de la nature de la monnaie, accumulant une somme d’informations, d’observations et d’arguments dont il tire les concepts abstraits et les lois qui expliquent les phénomènes concrets du réel. Puis, en retour, il les vérifie sans cesse et, ensuite, les améliore par de multiples et nouvelles observations encore plus pertinentes. Prenons-en de la graine, ainsi que de ceux qui le précédèrent pendant deux millénaires et demi ?

Cette deuxième démarche consiste donc avant toute chose à progressivement réunir tous les arguments et informations pertinents et juste suffisants sur la question posée. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut éviter que notre jugement ne repose que sur nos idées préconçues ou des vues de l’esprit, si bien qu’en bout de course on n’aura pas avancé d’un pouce (même si dans la foulée nos ébats et débats nous auront défoulés : quelle avancée, on s’est diverti !). A l’opposé de cela, il s’agit toujours de partir de l’observation des propriétés des choses et des faits pour en découvrir par la raison l’organisation fondamentale, les lois ou principes (conceptuels, abstraits) qui les gouvernent.
Il s’agit donc le plus souvent d’oser faire l’effort de s’informer sur les résultats de recherches déjà effectuées sur la question. Ceux-ci sont de deux ordres. 1)  les résultats empiriques ont été pour une grande part vulgarisés sur Internet ou dans des revues périodiques de qualité (La Recherche, Pour la Science, Science et Vie, etc.) disponibles en bibliothèque. 2)  les résultats théoriques sont les lois et principes explicatifs découverts à partir de l’observation des propriétés des choses, à savoir à partir des résultats empiriques. Les principes ou théories scientifiques (philosophie seconde) se trouvent aux mêmes sources et dans des manuels scientifiques. Quant aux théories philosophiques, ou philosophie première, elles sont des cribles ou grilles de connaissance les plus généraux. Ils sont le plus souvent réunis dans des dictionnaires, encyclopédies et manuels philosophiques disponibles dans les mêmes lieux et dans les bibliothèques universitaires.

Comme décrit, il ne reste plus alors qu’à faire ce que philosopher exige. Une question : la structure et le principe d’un café philosophique annonçant ses objets d’attention par un vote démocratique en assemblée au moins un mois à l’avance ne le permet-il pas dans une large mesure ? Mais le cœur est-il à cet impératif ? Cela dépend de nous. Rien que de nous. Il demeure pourtant une chose : contrairement à la plupart de nos contemporains, beaucoup de philosophes nous ont montré à cet égard un chemin exaltant d’intérêt profond et d’amitié pour la connaissance.


Inscription sur la liste de diffusion des sujets : cafe-philo@cafes-philo.com

Facebook : cafephilo montpellier 

vendredi 15 janvier 2016

Sujet du Mercredi 20 Janvier 2016 : "Le passé m'encourage, le présent m'électrise, je crains peu l'avenir" Sade



      "Le passé m'encourage, le présent m'électrise, je crains peu l'avenir"  Sade

«  Mme de Lorsange : exempte de toutes craintes religieuses, sachant me mettre au-dessus des lois, par ma discrétion et par mes richesses, quelle puissance, divine ou humaine, pourrait donc contraindre mes désirs ? Le passé m'encourage, le présent m'électrise, je crains peu l'avenir ; j'espère donc que le reste de ma vie surpassera de beaucoup encore tous les égarements de ma jeunesse. La nature n'a créé les hommes que pour qu'ils s'amusent de tout sur la terre ; c'est sa plus chère loi, ce sera toujours celle de mon cœur. Tant pis pour les victimes, il en faut ; tout se détruirait dans l'univers, sans les lois profondes de l'équilibre ; ce n'est que par des forfaits que la nature se maintient, et reconquiert les droits que lui enlève la vertu. Nous lui obéissons donc en nous livrant au mal ; notre résistance est le seul crime qu'elle ne doive jamais nous pardonner.
Oh ! mes amis, convainquons-nous de ces principes : dans leur exercice se trouvent toutes les sources du bonheur de l'homme. Allons, mes amis, réjouissons-nous, je ne vois dans tout cela que la vertu de malheureuse : nous n'oserions peut-être pas le dire, si c'était un roman que nous écrivissions.
    - Pourquoi donc craindre de le publier, dit Juliette, quand la vérité même arrache les secrets de la nature, à quelque point qu'en frémissent les hommes ? La philosophie doit tout dire.
 »
Marquis de Sade (1740 - 1814)  -  Histoire de Juliette ou les Prospérités du vice.

De quel temps est Sade ? Du dix huitième siècle ?  De la Révolution française, du dix-neuvième siècle ? Lui le petit féodal victime d’une lettre de cachet qui le jeta en prison, passera treize années de sa vie emprisonné ou à l’asile.
Chacun de nous aurait pu, envisageant le contexte historique, faire dire à un des ses personnages ; et pourquoi pas à Sade lui-même (et c’est notre propos) la phrase de Mme de Lorsange :

« Le passé m’encourage » : lui qui vécut la fin de sa destinée de petit noble en dilapidant sa fortune en représentations théâtrales des pièces de Voltaire, Destouches….. Diderot. Lui qui, soldat du roi, s’enfuit en Italie, par amour, avec sa jeune belle sœur et qui va finir embastillé.
Lui qui sortira de la Bastille un jour de 1789. Son passé ne pouvait que l’encourager à faire face. Les leçons qu’il en tira le feront rentrer de plain pied dans le présent au moment même ou la Grande Révolution allait renverser un vieux monde ancien. L’histoire se fabriquait sous ses yeux au présent.

 « Le présent m'électrise » : et quel présent !, la Bastille est abattue, le roi a la tête tranchée. Sade rentre au « comité des Piques » (Vendôme). En Octobre 1793 il prononce le Discours aux mânes de Marat et de Le Peletier lors de la cérémonie organisée en hommage aux deux « martyrs de la liberté ».
Le 15 novembre, délégué à la Convention, il est chargé de rédiger et d'y lire, en présence de Robespierre qui déteste l'athéisme et les mascarades antireligieuses, une pétition sur l'abandon des « illusions religieuses » au nom de six sections :
« Législateurs, le règne de la philosophie vient anéantir enfin celui de l'imposture (…) Envoyons la courtisane de Galilée se reposer de la peine qu’elle eut de nous faire croire, pendant dix-huit siècles, qu’une femme peut enfanter sans cesser d’être vierge ! Congédions aussi tous ses acolytes ; ce n’est plus auprès du temple de la Raison que nous pouvons révérer encore des Sulpice ou des Paul, des Magdeleine ou des Catherine… ». Condamné à la guillotine quelques mois plus tard il en réchappe et est incarcéré puis libéré peu après.
En moins de 6 années comment ne pas être galvanisé par la participation à ces événements révolutionnaires ?

« Je crains peu l'avenir » : dès lors s’ouvre le troisième temps de Sade, celui dont après tout il n’a rien à craindre. Lui qui a échappé à la mort, à la prison. Lui qui n’a jamais cessé d’écrire. De quoi aurait-il donc peur ?
La société le redoute. Ses écrits affolent. Pour qui a-t-il écrit pour que la société le pourchasse ainsi ? Est-il châtié pour son « immoralité » ? De quelle société parle t il ? Qui décrit-il ?
C’est décidé : il est fou, on l’enferme à Charenton. Mais c’est trop peu, on l’envoie au fort de Ham. En 1810, Sade a soixante-dix ans. Mais l’auteur de Justine fait toujours peur aux autorités. Le nouveau ministre de l’Intérieur, le comte de Montalivet, resserre la surveillance : « considérant que le sieur de Sade est atteint de la plus dangereuse des folies ; que ses communications avec les autres habitués de la maison offrent des dangers incalculables ; que ses écrits ne sont pas moins insensés que ses paroles et sa conduite, (…) il sera placé dans un local entièrement séparé, de manière que toute communication lui soit interdite sous quelque prétexte que ce soit. On aura le plus grand soin de lui interdire tout usage de crayons, d’encre, de plumes et de papier. »
Il mourra en 1814.  

EPILOGUE :
"Nous craignons…une prochaine révolution dans le royaume. Plus le peuple s'étend, plus il est dangereux ; plus il s'éclaire, plus il est à craindre : on n'asservit jamais que l'ignorance. Nous allons…supprimer d'abord toutes ces écoles gratuites dont les leçons, se propageant avec rapidité, nous donnent des peintres, des poètes et des philosophes où il ne doit y avoir que des crocheteurs. Quel besoin tous ces gens-là ont-ils donc de talents, et quelle nécessité y a-t-il de leur en donner ? Diminuons bien plutôt leur nombre; la France a besoin d'une vigoureuse saignée, et ce sont les parties honteuses qu'il faut attaquer. Pour parvenir à ce but, nous allons d'abord vivement poursuivre la mendicité : telle est la classe où se trouvent presque toujours les agitateurs. Nous démolissons les hôpitaux, les maisons de piété ; nous ne voulons pas laisser au peuple un seul asile qui puisse le rendre insolent. »
A.D. de Sade - Histoire de Juliette ou les prospérités du vice - extrait.


« Si la leçon de Sade n'a encore à ce jour été entendue que des profiteurs du crime, c'est aux victimes qu'elle est destinée, sauf pour elles à consentir à faire les délices des assassins; une telle œuvre possède, aujourd'hui comme hier, des vertus intactes; elle offre, à qui veut l'entendre, tous les moyens de la rebellion"
C. Carle - La société du crime - 1996 - Editions de la passion.       

« Oui, je suis libertin   (NDLR : du latin « libertinus »,  était employé comme synonyme d'affranchi de la religion) je l'avoue ; j'ai conçu tout ce qu'on peut concevoir dans ce genre-là, mais je n'ai sûrement pas fait tout ce que j'ai conçu et ne le ferai sûrement jamais.
Je suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel ni un meurtrier, et puisqu'on me force à placer mon apologie à côté de ma justification, je dirai donc qu'il serait peut-être possible que ceux qui me condamnent aussi injustement que je le suis ne fussent pas à même de contrebalancer leurs infamies par des bonnes actions aussi avérées que celles que je peux opposer à mes erreurs. »  Sade à sa femme – 20 février 1781

dimanche 10 janvier 2016

Sujet du Merc. 13/01 : Savoir : Connaissance ou croyance ?



Savoir : Connaissance ou croyance ?

Extraits d’une étude de Frédéric Laupies, professeur de philosophie :
(…) « Le mot « croyance » s’emploie d’abord au pluriel. Il désigne ce que telle ou telle société, peuple, communauté « tient pour vrai » : les croyances populaires, ancestrales peuvent être décrites et font l’objet de narrations. Mais le fait même d’en parler comme des « croyances » les disqualifie : elles sont ainsi désignées par le point de vue extérieur de celui qui n’y croit pas. Le croyant ne désigne pas l’objet de sa croyance par ce terme : il s’agit pour lui de la réalité même.
Si l’on veut sauver les croyances du point de vue rationnel, il est possible de leur attribuer une fonction herméneutique : elles peuvent, en effet, être rattachées à l’ordre de l’interprétation. Certes, elles n’expliquent rien, ne remontent pas à la cause, ne mettent pas au jour une loi des phénomènes ; mais elles permettent de donner un sens au donné…
Toutefois, même sous l’angle de l’interprétation, les croyances ont un caractère primitif ou archaïque : pour donner sens à un donné quelconque, il n’est pas nécessaire de croire au principe par lequel le sens advient. Le mythe, par exemple, qui joue ce rôle herméneutique, peut parfaitement ordonner par la narration le fait brut sans qu’il soit nécessaire de croire à la réalité de ce qu’il raconte. Le Banquet de Platon évoquerait le mythe des androgynes pour interpréter la différence et l’attirance sexuelle, mais l’interprétation est peut-être indépendante de la vérité de l’histoire elle-même…
La croyance recouvre donc essentiellement l’ordre de la fantaisie, de l’imagination débridée, de l’exaltation sans frein : il n’y a, en effet, aucune limite, à la création de chimères, à la production délirante. La croyance a l’immense avantage sur le savoir de ne pas s’embarrasser de scrupules : ici pas de précaution expérimentale, pas de règles logiques contraignantes.
En effet, il n’y a place pour la croyance que là où aucune raison ou preuve ne peut conduire à affirmer la vérité. L’essence de la croyance est le « tenir-pour-vrai », fürwahrhalten, …mais ce qui est connu comme vrai n’a pas besoin d’être tenu pour vrai !
La vérité connue par la raison s’impose à elle : elle n’a pas besoin de la tenir ou de la soutenir. Ce qui est vrai n’est pas tel en vertu d’une position de ma conscience : l’acte par lequel la vérité est connue est inverse à celui que suppose la croyance. Dans la connaissance de la vérité, le sujet s’efface devant ce qu’il connaît : il s’incline devant le fait, la chose, qui n’obéit pas à son caprice ou son désir : je sais que je connais parce que je me confronte à une réalité qui a sa loi. Je ne fais pas ma loi, je re-connais une loi qui me précède et qui existe, que je la connaisse ou non.
À l’inverse, la croyance accorde à une représentation incontrôlable le statut de vérité, non pas en vertu d’une re-connaissance de la vérité mais en vertu d’un acte subjectif d’attribution. En ce sens, la croyance est l’expression plus ou moins marquée de la paresse et de l’egocentrisme : il me plaît de ne pas sortir de moi-même… et de me complaire dans mes représentations. Mais les choses seraient claires si la croyance avouait sa nature. Or elle a toujours quelque d’inavouable ; elle a toujours quelque chose à cacher : elle doit masquer que la vérité qu’elle affirme est simplement tenue pour vraie. La croyance refuse de faire voir que le vrai qu’elle pose est ainsi posé parce qu’elle le « tient » : elle ne veut pas le « lâcher » sinon il s’évanouirait … mais elle ne veut pas montrer qu’elle le maintient par sa propre affirmation.
Voilà pourquoi la croyance a quelque chose d’incantatoire : il faut sans cesse rappeler la vérité que l’on tient et à laquelle on tient pour éviter qu’elle ne s’évanouisse ou ne s’affaisse dans l’oubli. La croyance joue donc à la fois sur la dissimulation et sur l’ostentation : dissimulation du caractère subjectif de la vérité ; ostentation de ce qui est « tenu » pour vrai.
Ainsi la croyance suscite-t-elle au mieux l’intérêt respectueux de l’ethnologue, lorsqu’elle n’est pas l’objet du mépris de la raison critique.
Dans la transmission du savoir, la croyance intervient également : le disciple croit ce que le maître lui enseigne en histoire, par exemple. Il ne saurait vérifier par lui-même l’ensemble des faits historiques ; et même si cela était possible, il devrait encore croire ce qui lui permet de vérifier, à commencer par la bonne foi des sources authentiques. Il y a donc lieu ici de se « fier » à l’autorité de celui qui enseigne : la croyance a d’abord pour objet la compétence du maître…
Il faut donc délimiter les domaines où la croyance est requise pour le savoir, et celle où elle ne l’est pas.
Les quelques considérations qui précèdent permettent de distinguer deux grands cas de figure : soit l’objet du propos est lui-même incertain (« je crois qu’il y aura une bataille navale demain ») ; soit il est certain mais ne peut pas être saisi par le sujet qui l’apprend d’un autre, faute de temps ou de moyens. Dans ces deux cas, la croyance, n’est pas illégitime : elle n’est pas prétention aberrante d’un esprit non critique ; mais le seul moyen de se rapporter à une réalité qui serait autrement inaccessible.
Dans ces conditions, la croyance est susceptible d’être assumée par la raison critique : elle n’est pas en contradiction avec elle parce qu’elle porte sur un domaine qui ne peut être connu par la raison.
C’est dans le champ ainsi délimité que pourrait s’inscrire la foi religieuse. Comprise essentiellement comme réponse à une révélation, elle est indissociable de la représentation d’un dieu personnel qui se donne à connaître selon une dynamique inverse à celle du dévoilement philosophique. Ce n’est pas le sujet connaissant qui se porte vers la chose à connaître ; c’est l’objet de la connaissance, qui est tout à la fois sujet, qui se manifeste et donne à connaître de lui ce que l’homme n’aurait pas pu découvrir par ses propres forces. L’idée même de révélation suppose un contenu de savoir surnaturel : par lui-même, il excède ce que l’esprit peut déduire a priori ou découvrir a posteriori. En ce sens, la foi est comprise comme une modalité du savoir : ses énoncés portent sur un objet qui n’est pas par nature mouvant et donc offert à un discours probable puisqu’ils portent sur l’être parfait, extérieur à tout devenir ; ils sont tenus pour vrais mais invérifiables. La foi se laisse donc penser par analogie avec la confiance en l’autorité du maître : la confiance en celui qui révèle conduit à donner un assentiment à ce qu’il révèle.
Nous pouvons donc dégager ici quatre formes de la croyance et non plus trois, comme nous étions amenés à le faire dans l’avant-propos. Il faut, en effet, dissocier la croyance opinion et la croyance comme confiance :
- La croyance aberrante, qui tient pour vrai ce qui ne peut pas l’être parce que contradictoire logiquement ou opposé aux conditions de possibilité de l’expérience.
- La croyance comme opinion, estimation du probable, qui est un moyen d’agir dans l’ordre de l’incertain.
- La croyance comme confiance en l’autorité ou en la bonne foi, la fidélité d’autrui.
- La croyance comme foi religieuse.
Les trois dernières formes manifestent l’impossibilité d’opposer de façon dichotomique la croyance et le savoir : entre la croyance irrationnelle et le savoir, il y a en effet, place pour des degrés intermédiaires qui, sans relever du savoir vérifiable ou démontrable, ne sont pas réductibles à l’ignorance ou à la superstition.
Les choses sont donc moins simples qu’il ne pourrait paraître de prime abord. Mais, à ce niveau de l’analyse, elles ne sont pas encore très complexes : y aurait-il place pour la croyance à un certain niveau de réalité ? elle serait possible par l’impossibilité de vérifier le contenu du discours, soit quant au sujet, qui n’en n’a pas les moyens, soit quant à l’objet qui échappe à l’ordre du vérifiable. »(…)

VOUS DÉSIREZ RECEVOIR LES SUJETS CHAQUE SEMAINE IL SUFFIT DE VOUS INSCRIRE ICI

Sujet du Merc. 23/03/2024 : Le cas Nietzsche.

                                   Le cas Nietzsche.       Pourquoi un tel titre ? Qui aurait l’idée de dire « le cas Diderot », ou « le c...