lundi 29 février 2016

Sujet du Merc. 02/03 : "La volonté de dieu, cet asile de l'ignorance"

             "La volonté de dieu, cet asile de l'ignorance"



« (…) Et il ne faut pas négliger ici le fait que les Sectateurs de cette doctrine (le christianisme - NDLR), qui ont voulu faire montre de leur esprit en assignant les fins des choses, ont, pour prouver cette doctrine qui est la leur, introduit une nouvelle manière d’argumenter la réduction, non à l’impossible, mais à l’ignorance; ce qui montre bien que cette doctrine n’avait pas d’autre moyen d’argumenter.
Car si par ex. une pierre est tombée d’un toit sur la tête de quelqu’un, et l’a tué, c’est de cette manière qu’ils démontreront que la pierre est tombée pour tuer l’homme. En effet, si ce n’est pas à cette fin, et par la volonté de Dieu, qu’elle est tombée, comment tant de circonstances (il y faut souvent, en effet, le concours de beaucoup) ont-elles pu se trouver concourir par hasard ?
Tu répondras peut-être que c’est arrivé parce que le vent a soufflé, et que l’homme passait par là. Mais ils insisteront, pourquoi le vent a-t-il soufflé à ce moment-là? pourquoi l’homme passait-il par là à ce même moment? Si de nouveau tu réponds que le vent s’est levé à ce moment-là parce que la mer, la veille, par un temps encore calme, avait commencé à s’agiter; et que l’homme avait été invité par un ami; de nouveau ils insisteront, car poser des questions est sans fin, et pourquoi la mer s’était-elle agitée? pourquoi l’homme avait-il été invité pour ce moment-là? et c’est ainsi de proche en proche qu’ils ne cesseront de demander les causes des causes, jusqu’à ce que tu te réfugies dans la volonté de Dieu, c’est-à-dire dans l’asile de l’ignorance.
Et il en va de même quand ils voient la structure du corps humain, ils sont stupéfaits, et, de ce qu’ils ignorent les causes de tant d’art, ils concluent que ce n’est pas un art mécanique qui l’a construite, mais un art divin ou surnaturel, et constituée de telle manière qu’aucune partie n’en lèse une autre. Et de là vient que qui recherche les vraies causes des miracles, et s’emploie à comprendre les choses naturelles comme un savant, au lieu de les admirer comme un sot, est pris un peu partout pour un hérétique et un impie, et proclamé tel par ceux que le vulgaire adore comme les interprètes de la nature et des Dieux. Car ils savent bien qu’une fois supprimée l’ignorance, la stupeur, c’est-à-dire le seul moyen qu’ils ont pour argumenter et maintenir leur autorité, est supprimée. Mais je laisse cela, et je passe à ce que j’ai décidé de faire ici en troisième lieu. (…) Et donc tout ce qui contribue à la santé et au culte de Dieu, ils l’ont appelé Bien, et ce qui leur est contraire, Mal. Et parce que ceux qui ne comprennent pas la nature des choses, mais se bornent à imaginer les choses, n’affirment rien des choses, et prennent l’imagination pour l’intellect, à cause de cela ils croient fermement qu’il y a de l’Ordre dans les choses, sans rien savoir de la nature ni des choses ni d’eux-mêmes. Car, quand elles ont été disposées de telle sorte que, lorsqu’elles se représentent à nous par les sens, nous n’avons pas de mal à les imaginer, et par conséquent à nous les rappeler, nous disons qu’elles sont en bon ordre, et, sinon, qu’elles sont en désordre, autrement dit confuses.
Et, puisque nous plaît plus que tout ce que nous n’avons pas de mal à imaginer, pour cette raison les hommes préfèrent l’ordre à la confusion; comme si l’ordre était quelque chose dans la nature indépendamment de notre imagination; et ils disent que Dieu a tout créé en ordre, et de la sorte, sans le savoir, ils attribuent à Dieu de l’imagination ; à moins peut-être qu’ils ne veuillent que Dieu, pourvoyant à l’imagination humaine, ait disposé toutes choses de telle sorte qu’ils aient le moins de mal possible à les imaginer; peut-être ne se laisseraient-ils pas arrêter par le fait qu’on en trouve une infinité qui dépassent de loin notre imagination, et un très grand nombre qui la confondent, à cause de sa faiblesse. »  (ETHIQUE).
  La proposition de Spinoza ne concerne pas simplement l’idée de dieu. Son axe central n’est pas la question de dieu.
C’est celle de nos possibilités enfin libérées,  si nous rejetons dans les « asiles de l’ignorance » toutes formes de justifications non démontrées de ce qui peut nous advenir.
Pourquoi nous soumettons nous à une « volonté » qu’elle soit de dieu ou d’une autre puissance chimérique ?
Pour avons-nous confiance, prêtons nous crédit à des discours sans fondements ? Ou aux fondements biaisés ?
Nos modernes « asiles de l’ignorance », ont pour noms « réchauffement climatique », « lois du Marché », « droits de l’homme »,  « libre entreprise » , « droit à la différence », « démocratie » ...etc….
Les hommes sont naïfs s’ils cherchent une cause première nous a dit Spinoza. Alors ils sombrent dans la confiance (du latin cum fides  -   avec la foi). Spinoza s’interroge sur   la manière dont les hommes peuvent procéder pour, dit-il, se donner une assurance mutuelle et instaurer une «confiance mutuelle» (et fidem invicem habere), afin de vivre ensemble en sécurité. Et dans le Traité Politique (I, 6), c’est bien aussi envers la confiance accordée à l’homme politique que Spinoza nous met en garde. En effet, contre la confiance que les sujets mettent naïvement dans la loyauté de ceux qui gèrent les affaires publiques,
Spinoza rappelle que la bonne marche et la sécurité de l’État exigent, bien au contraire, de la part des citoyens, une vigilance et une saine défiance envers l’exercice des pouvoirs.
Et que ce n’est que sur cette vigilance de tous qu’une confiance politique pourra effectivement advenir. Une vigilance qui ne peut se matérialiser que par la création d’institutions démocratiques de contre-pouvoirs qui intègrent des systèmes de résistance à la domination dont la résistance armée au souverain si celui-ci était tenté d’opprimer ses sujets .
(Les citations suivantes sont toutes tirées du Traité Théologico-Politique)
«rien n’est plus insupportable aux hommes que d’être soumis à leurs égaux [ou à leurs semblables] et d’être dirigés par eux»
1     Et de ce principe Spinoza déduit deux séries de conséquences de nature politique : «Il en résulte ceci», dit-il: ou bien, premièrement «la société tout entière, si c’est possible, doit exercer collégialement le pouvoir, afin que de cette façon tous soient tenus d’obéir à eux-mêmes sans que personne ait à obéir à son égal»… Et l’on obtient alors une démocratie
Ou bien, c’est la seconde solution: «si un petit nombre ou un seul homme détient le pouvoir, il doit avoir en lui quelque chose qui dépasse la nature humaine commune, ou du moins il doit chercher de toutes ses forces à en persuader le vulgaire».
Et nous entrons alors dans les mystifications qui accompagnent nécessairement la domination.
Ainsi, abstraction faite de toute autre paramètre, le refus d’une part d’être dirigé par un égal-semblable et, corrélativement, l’impossibilité d’autre part de devenir maître de son semblable (étant donné la résistance de chacun à la domination de l’égal), c’est par une mesure consensuelle et commune, celle de l’égalité des droits, que sont résolues, dans et par les institutions, les contradictions affectives et effectives qui traversent nécessairement la multitude.
Chez Spinoza, la démocratie est d’abord cette résolution: c’est donc le résultat d’une prudence commune, une prudence de la multitudinis potentia. Et c’est ainsi que Spinoza pense que les premières formes du vivre ensemble ont du être, logiquement, des sociétés démocratiques.
La démocratie est, en effet d’abord, l’invention d’une mesure commune qui donne sa condition de possibilité au vivre-ensemble.

Les « hommes providentiels « :
Il arrive souvent, en effet, qu’en situation de crise, et à la faveur de ses victoires présentes ou passées, un homme illustre devienne le tyran de son propre peuple: «dans les crises extrêmes de l’État, lorsque tous sont saisis d’une sorte de terreur panique, on les voit tous se ranger au seul avis que leur inspire l’épouvante du moment, sans s’inquiéter ni de l’avenir, ni des lois, tourner leurs regards vers un homme illustré par ses victoires, l’affranchir seul de toutes les lois, lui continuer son commandement (ce qui est du plus dangereux exemple), et confier enfin à sa seule loyauté la république toute entière.
Ce fut là certainement la cause de la ruine de l’État romain».

Solution des plus illusoire et des plus dangereuse alors qu’il devrait s’agir, bien au contraire pour les citoyens, non pas de chercher la vertu salvatrice dans un homme providentiel mais, bien plutôt, de construire, la confiance c’est-à-dire l’équilibre, la vertu et la prudence rationnelle de l’État démocratique lui-même. Un État qui en temps de crise pourrait alors trouver, en lui-même et par lui-même, dans ses institutions, les solutions adéquates, sans se laisser emporter par les espoirs et les craintes du moment présent »

La « démocratie » :
La démocratie n’est donc pas, pour Spinoza, cette forme faible, débile, de gouvernement, que nous connaissons aujourd’hui, dont on nous dit qu’il faut quand même raisonnablement s’en accommoder car, s’il s’agit, en effet, du «pire des régimes», c’est, quand même, «à l’exception de tous les autres déjà essayés au cours de l’Histoire» et qui ont conduit au pire du pire! Non.
La démocratie à construire (telle que Spinoza la conçoit) porte, bien au contraire, en elle et par elle, la même puissance, la même exigence et la même rigueur que la vérité elle-même. Car c’est en elle et par elle – la démocratie – que la confiance politique peut effectivement se produire.
Une confiance politique corrélative de la certitude et de la joie éthique qui accompagnent nécessairement la production du vrai. Car il s’agit, dans la construction démocratique puissante que propose Spinoza, du même mouvement réel du réel, celui de l’autonomie ou de la «libre nécessité»: celle des peuples, des hommes, comme des idées lorsqu’elles sont vraies.

Quelques citations de SPINOZA :
« les hommes les plus attachés à toute espèce de superstition, ce sont ceux qui désirent sans mesure des biens incertains ; aussitôt qu’un danger les menace, ne pouvant se secourir eux-mêmes, ils implorent le secours divin par des prières et des larmes ; la raison (qui ne peut en effet leur tracer une route sûre vers les vains objets de leurs désirs), ils l’appellent aveugle, la sagesse humaine, chose inutile ; mais les délires de l’imagination, les songes et toutes sortes d’inepties et de puérilités sont à leurs yeux les réponses que Dieu fait à nos vœux. Dieu déteste les sages.

Ce n’est point dans nos âmes qu’il a gravé ses décrets, c’est dans les fibres des animaux. Les idiots, les fous, les oiseaux, voilà les êtres qu’il anime de son souffle et qui nous révèlent l’avenir. Tel est l’excès de délire où la crainte jette les hommes. »  T.T.P  Préface


« Les universités, dont la fondation est supportée pécuniairement par l’administration publique, sont des institutions destinées, non à cultiver, mais à contraindre les esprits » T.P Chap.8


« L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie ». Éthique IV, prop. 67

Sujets à venir :

Mercredi  09 Mars 2016
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Notre argent est-il le notre ?

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« Savoir ce qu'on sera,
c'est vivre comme les morts » P. Nizan


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dimanche 21 février 2016

Sujet du Merc. 24 février 2016 : A quoi sert l'art ?



                                                     
                                           A quoi sert l’art ?
Voici une dissertation en correction d’un sujet d’épreuve du Baccalauréat, rédigée par Nicolas Bogler, professeur de philosophie.
« L’art est un anti-destin » André Malraux.
Le mot art vient du latin « ars » lui-même dérivé du mot grec « technê », qui signifie à la fois la technique (l’art de), la création artistique ou même dans son sens le plus poussé, la recherche du beau (l’art pour l’art).
On notera d’ailleurs les liens étroits qui unissent le beau et l’art, lien visible quand on observe une œuvre d’art, car on utilise son jugement du beau pour déterminer de la qualité de l’œuvre. L’art, création de l’artisan, c’est-à-dire celui qui maîtrise l’art, ou de l’artiste, qui lui a le talent nécessaire, est une superposition ou même une substitution à la nature ; création humaine elle tend à transformer l’état de nature en état de culture. Le terme servir renvoi au nom serviteur ; quel est sa fonction ? Il est au service de, et par définition, est d’accomplir des tâches pour son maître : on peut de la sorte le comparer à un valet, ou un domestique.
1 L’art ne sert à rien ?
Nous commencerons notre analyse par « l’inutilité » de l’art. Il s’agit de briser un tabou, car il est aujourd’hui clairement mal vu, au risque d’être traité de butor, de dire que « l’art ne sert à rien ». Pourtant c’est le point de vue de plusieurs philosophes, et non des moindres : Platon et Marx jugent, à leur manières de la futilité de l’art pour l’homme et la société.
Ainsi, Platon, dans « La République » dit :
« L’art est bien éloigné du vrai, et c’est apparemment pour cette raison qu’il peut façonner toutes choses : pour chacune en effet, il n’atteint qu’une petite partie, et cette partie n’est elle-même qu’un simulacre (elle n’a que l’apparence de ce qu’elle prétend être). C’est ainsi, par exemple, que nous dirons que le peintre peut nous peindre un cordonnier, un menuisier, et tous les autres artisans, sans rien maîtriser de leur art. Et si il est bon peintre, il trompera les enfants et les gens qui n’ont pas toutes leurs facultés (…) parce que ce dessin leur semblera le menuisier réel. »
Platon situe ainsi l’art du côté du « non savoir » car il s’agit d’une imitation du réel ; l’imitation est immanquablement défectueuse, et l’œuvre qui en ressort, n’est que la représentation d’une imitation défectueuse : elle ne peut donc nous offrir aucune connaissances. Ainsi, dans « La République » Platon souhaite interdire l’accès à la Cité aux artistes, car ils ne « servent » à rien, n’étant que des illusionnistes sans raison d’être.
L’art n’a pas, dans le système platonicien, de valeur, car Platon considère l’art comme le concept de l’image (il y a le monde des idées, et celui des représentations, des images, dérivés de l’original, en moins bien) : il part donc du principe que toute production artistique n’est que le dédoublement superflus d’une réalité déjà existante. Ainsi, Platon condamne l’art comme un vecteur de savoir et d’enrichissement personnel, car l’art n’apporte qu’une pâle copie de ce qui existe.
Marx lui, adopte un point de vue différent, ne considérant pas nécessairement l’art comme une copie blafarde du réel, mais comme une production. Il n’y a pas un « esprit de créativité artistique », mais uniquement une réalité matérielle : l’art est uniquement une marchandise.
« En ce qui concerne l’art on sait que certaines époques de floraison artistique ne sont nullement en rapport avec l’évolution générale de la société, ni donc avec le développement de la base matérielle qui est comme l’ossature de son organisation. (…) Mais la difficulté n’est pas de comprendre que l’art grec et l’épopée sont liées à certaines formes du développement social, la difficulté, la voici : ils nous procurent encore une jouissance artistique et à certains égards ils servent de norme, ils nous sont un modèle inaccessible… … Un homme ne peut redevenir enfant sans être puéril. Mais ne se réjouit-il pas de la naïveté de l’enfant et ne doit-il pas lui-même s’efforcer à un niveau plus élevé de reproduire sa vérité ? »
L’art est en fait « consommé » au même titre que tous les autres biens de productions afin de nous procurer une conception décalée de notre époque, créant donc ce « modèle inaccessible » ; l’art est une marchandise qui répond à un besoin, à une envie de consommer le rêve, et de faire retourner l’homme à son état « puéril » : l’art n’a en ce sens rien d’utile, car évaluée comme n’importe quel autre bien il est évalué financièrement et quantitativement, ce qui s’oppose à sa nature profonde. Il devient donc absurde ; par conséquent, il n’apporte plus de sens à quiconque.
2 L’art permet de connaître la réalité, ou de créer la nôtre Néanmoins, tous les penseurs ne jugent pas l’art aussi sévèrement : certains le considèrent comme bénéfique à l’homme, d’autre comme une richesse pour la société.
Ainsi, à l’inverse de Platon, Aristote considère l’art comme un élément positif : il est tout d’abord inhérent à l’homme, et tend à être un moyen d’apprentissage. L’art est en quelque sorte le pourvoyeur d’un plaisir double : il est l’assouvissement de notre nature (qui tend à créer l’art pour transformer la nature en culture) et par sa représentation, tend à venir combler les manques dans le réel.
« Imiter est en effet, dès leur enfance, une tendance naturelle aux hommes. Ils se différencient des animaux en ce qu’ils sont des êtres fort enclin à imiter et qu’il commencent à apprendre à travers l’imitation, comme la tendance commune à tous de prendre plaisir aux représentations ; la preuve en est dans les faits : nous prenons du plaisir à contempler les images les plus exactes des choses  dont la vue nous est pénible dans la réalité (…) leur contemplation est apporte un enseignement et permet de se rendre compte de ce qu’est chaque choses ».
L’art est donc naturel, et vient nous apporter par ce qu’il représente, une meilleure connaissance du monde. Hegel, dans « cours d’esthétique I », y verra le moyen de « purifier » le quotidien, obstrué par la raison et le pratique ; l’art est en quelque sorte le moyen de revenir à la réalité première de l’idée, nue, sans tous les affres de la nécessité, comme une réalité plus haute.
Il est la manifestation de l’essence, du concept, ce qui est, car l’artiste exprime par le biais de l’art, des émotions, des pensées : bien qu’étant une réalité matérielle (il y a une peinture réelle, ou n’importe quel support), l’œuvre transcende la simple réalité matérielle ; il s’agit d’une pièce spirituelle car d’elle émane, non pas la simple répétition d’un quotidien monotone mais bien la une purification des idées de ce dernier.
De manière plus proche du sujet (les personnes), Freud envisage l’art comme un défouloir humain, qui sert d’exutoire, aussi bien à l’artiste qu’au spectateur. En effet, l’artiste (que Freud considère comme un névrosé !) a le moyen d’exprimer dans l’irréel ce qui le préoccupe dans le réel ; c’est un rejet, ou une affirmation « hors du monde » de la volonté de l’artiste ainsi son sentiment peut se libérer, mas afin de ne pas « gêner » le réel, il se libère ailleurs, dans l’art.
Freud dira ainsi : « Il sait d’abord donner à ses rêves éveillés une forme telle qu’ils perdent tout caractère personnel susceptible de rebuter les étrangers, et deviennent une source de jouissance pour les autres ». Pour les autres en effet car le spectateur n’est pas en reste : la production artistique est pour lui comme une délivrance, car elle lui offre l’opportunité de s’évader du réel, afin de goûter aux rêves d’autrui et d’interpréter ses œuvres à sa manière ; il y a une transposition de notre réalité dans celle de l’art qui permet cette évasion « dans » l’art.
C’est ce qui fera dire à Nietzsche que « l’art est aussi nécessaire que le bouffon » : cette contre puissance du réel nous autorise l’affirmation de notre légèreté et de notre insouciance. Car si l’art « autorise » ce basculement dans l’irréel, il en est également le moyen ; Bergson souligne avec brio, dans « le Rire » que l’art soulève le voile de l’utilité, celui qui nous retient dans le réel, pour nous permettre de vivre l’art :
« Quel est l’objet de l’art ? Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile (…) Entre la nature et nous, que dis-je ? Entre nous et notre propre conscience, un voile s’interpose, voile épais pour le commun des hommes, voile léger, presque transparent, pour l’artiste et le poète. Quelle fée a tissé ce voile ? Fut-ce par malice ou par amitié ? L’art n’est sûrement qu’une vision plus directe de la réalité. Mais cette pureté de perception implique une rupture avec la convention utile, un désintéressement inné et spécialement localisé du sens ou de la conscience, enfin une certaine immatérialité de vie, qui est ce qu’on a toujours appelé de l’idéalisme. De sorte qu’on pourrait dire, sans jouer aucunement sur le sens des mots, que le réalisme est dans l’œuvre quand l’idéalisme est dans l’âme, et que c’est à force d’idéalité seulement qu’on reprend contact avec la réalité »

L’art est donc pour l’homme le moyen de mieux percevoir son monde, de mieux l’appréhender ; mais aussi, selon Schopenhauer, de mieux le créer. Dans « Le monde est ma représentation », Schopenhauer en vient à considérer que nous vivons dans un monde réel crée par l’irréel, dans la mesure où nous vivons dans nos représentations, plus confortable que la réalité ; l’art au-delà d’aménager la nature pour la transformer en culture, vient ici altérer notre rapport au monde car notre monde n’est plus le réel, avec sa volonté propre, mais « notre représentation ».
Enfin l’art est un régulateur des peurs et désirs d’une société ;  il vient canaliser cette dernière en fonction des normes et valeurs qu’elle s’est imposée. Ainsi, l’art tend à sublimer le « bon » le « bien » par de multiples allégories, en faisant passer une représentation positive, mais tend à sanctionner sévèrement ce qui sort du cadran, des normes sociétales. On observera ainsi, dans les productions artistiques, des nombreuses catharsis, venant condamner le non suivi des normes, l’attitude anti-morale établie par la société.
Bourdieu affirme ainsi dans « Mais qui a créé les créateurs ? » que le travail de l’artiste s’inscrit toujours dans des circonstances, dans un contexte particulier qui de fait, explique la teneur de son travail, et le message sociétal qu’il contient.
L’art sert, et même beaucoup ; loin d’être inutile, il est un moyen et un but pour l’homme, lui permettant de se développer, et d’échapper au réel. « L’art est un anti-destin » car il permet d’altérer le réel, afin de modifier notre perception du monde.


jeudi 11 février 2016

Sujet du Merc. 17/02 : « Ça crie mais ne sent point » » Malebranche





« Ça crie mais ne sent point » » Malebranche



Fontenelle fit un jour une visite à Malebranche et il relate l’anecdote suivante : « Une grosse chienne de la maison, et qui était pleine, entra dans la salle où ils se promenaient, vint caresser le  Malebranche et se rouler à ses pieds. Après quelques mouvements inutiles pour la chasser, le philosophe lui donna un coup de pied, qui fit jeter à la chienne un cri de douleur et à Monsieur de Fontenelle un cri de compassion. Eh ! Quoi, lui dit froidement Malebranche, ne savez-vous pas que cela ne sent point ? ».  

 Malebranche est connu comme disciple de Descartes et sa réaction pourrait faire penser à l’option cartésienne des « animaux-machines ». Mais Descartes est bien plus subtil que ses disciples supposés. Pour lui :
-          « si les animaux sont des automates, ce sont des machines infiniment subtiles parce que construites par Dieu, alors que les machines automates produites par l'homme sont élémentaires ».
-          « quoique je regarde comme une chose démontrée qu'on ne saurait prouver qu'il y ait des pensées dans les bêtes, je ne crois pas qu'on puisse démontrer que le contraire ne soit pas, car l'esprit humain ne peut pénétrer dans leur cœur. »
-          Ce qu’il refuse aux bêtes ce n'est que la pensée :  « Car je ne leur ai jamais dénié ce que vulgairement on appelle vie, âme corporelle et sens organique. »
-          « Je parle de la pensée, non de la vie, ou du sentiment, écrit-il. Car je n'ôte la vie à aucun animal, ne la faisant constituer que dans la chaleur du cœur. Je ne leur refuse pas même le sentiment autant qu'il dépend des organes du cœur. »

Quatre siècles plus tard on assiste a une inversion totale de la problématique homme/animal. Les développements scientifiques, l’élevage intensif, le peuplement de la terre sont vus comme des dangers et la nature comme la source d’une nouvelle réflexion morale.

Aujourd'hui la pensée écologiste vulgaire a le plus souvent tendance à poser que ce qui est de l'ordre de la nature bénéficie d'un a priori positif, tandis que ce qui est artificiel, c'est à dire relève de l'activité humaine, est a priori suspect. 

Cette dérive qui se niche désormais dans l’ensemble des discours « philosophiques » et ….publicitaires, est devenue une idéologie, c'est-à-dire un ensemble de propositions dissolvant les frontières entre homme et animal, humanité et animalité. Les hommes sont violents …. Comme les animaux, ils n’ont besoin que de boire manger et se reproduire. Entre eux et nous pas de différence de nature. Mais a ne plus voir de frontières on finit par franchir certaines limites …..

En 2001 Jacques Derrida, invité pour faire la promotion de son dernier livre écrit avec la psychanalyste Elizabeth Roudinesco, répond aux questions posées par le journaliste à propos du rapport aux animaux.
.La première question a porté sur l'autorisation ou l'interdiction morale d'écraser des cafards. Jacques Derrida a répondu :       
« Non, il n'y a pas interdiction de tuer quand c'est nécessaire, je demande seulement qu'on éprouve un peu de compassion et de culpabilité ».
.Puis un peu plus tard : « Il faudra bien qu'on revoie l'élevage industriel concentrationnaire, qui constitue un véritable génocide animal ».

 Derrida, qui se prétend philosophe, ne connaît pas le sens de mots simples comme génocide ou élevage, qui sont exactement le contraire l'un de l'autre, puisque le génocide consiste à exterminer une population apparentée par des liens génétiques et que l'élevage, au contraire, perpétue des races animales.

L'école humaniste pense que les animaux n'ont pas de droits, mais que l'homme a des devoirs envers sa propre dignité qui lui interdisent d'avoir des comportements cruels envers les animaux et de leur faire subir des souffrances inutiles ; cette morale est à l'origine du droit de la protection des animaux, ce qui est tout autre chose que les droits des animaux

« …. Nous nous inquiétons d'assister, à l'aube du XXléme siècle, à l'émergence d'une idéologie irrationnelle qui s'oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique et social.

Nous affirmons que l'état de nature, parfois idéalisé par des mouvements qui ont tendance à se référer au passé, n'existe pas et n'a probablement jamais existé depuis l'apparition de l'homme dans la biosphère, dans la mesure où l'humanité a toujours progressé en mettant la nature à son service, et non l'inverse.  
   
Les plus grands maux qui menacent notre planète sont l'ignorance et l'oppression et non pas la science, la technologie et l'industrie dont les instruments, dans la mesure où ils sont gérés de façon adéquate, sont des outils indispensables qui permettront à l'humanité de venir à bout, par elle-même et pour elle-même de fléaux tels que la surpopulation, la faim et les pandémies.
»               
 (Appel de Heidelberg – 01 Juin 1992)


Sujet du Merc. 23/03/2024 : Le cas Nietzsche.

                                   Le cas Nietzsche.       Pourquoi un tel titre ? Qui aurait l’idée de dire « le cas Diderot », ou « le c...