lundi 28 mars 2016

sujet du 30 Avril 2016 : Il n’y a pas de libre arbitre ?



Il n’y a pas de libre arbitre ?

  La notion de libre arbitre, synonyme de liberté, désigne le pouvoir de choisir de façon absolue, c’est à dire d’être à l’origine de ses actes. Autrement dit un sujet libre est sensé pouvoir choisir de lui-même ce qu’il choisit, sans être poussé à l’avance d’un coté ou d’un autre par quelque influence ou cause que ce soit. Le libre arbitre suppose un certain contrôle de la part de l’agent : contrôle sur ses actions mais aussi sur les pensées et les émotions à partir desquelles il va se décider d’agir - contrôle qui suppose aussi la capacité de s’abstenir. D’autre part, l’exercice du libre arbitre suppose des conditions objectives : que les termes du choix soient des possibilités réelles. Pour que je puisse choisir entre A et B (ou même pour que je puisse m’abstenir de choisir (possibilité C)), il faut qu’A, B et C soient également possibles. 

   Sur quoi repose la notion de libre arbitre ? Deux points de vue s’opposent ici qui traversent toute l’histoire de la philosophie à travers bien des dénominations et des variantes différentes, opposition que nous essaierons de résumer comme étant celle entre le point de vue de la première personne et celui de la troisième personne. 

   Du point de vue de la première personne c’est-à-dire du point de vue de la conscience ou du sujet, personne ne peut décider à ma place, même ne pas décider est une décision, et la moindre action digne de ce nom m’engage : pour faire une chose aussi simple que lever le bras il faut que je le décide, tout au moins faut-il que j’y pense et rien ne se passerait sinon. Le libre arbitre est la condition de la responsabilité.

   Cela fait-il du libre arbitre et du contrôle qu’il suppose une donnée évidente ? Est-il si évident que nous avons un contrôle sur nos pensées et nos émotions ? La plupart de nos supposées « actions », ne sont-elles pas en réalité des réactions mécaniques qui répondent à autant de facteurs intérieurs (émotions, préjugés…) et extérieurs (les circonstances) que nous ne contrôlons pas ? Certes, je suis à l’origine de tous mes choix, mais ai-je choisi ce que je suis ? Pour que nos actions soient vraiment les nôtres, il faudrait que nous puissions nous choisir nous-mêmes, cela est-il possible ? Peut-on revendiquer un choix absolu de soi-même? Il faudrait alors avoir conscience d’avoir délibérément choisi sa naissance. Peut-être peut-on, plus raisonnablement, revendiquer un choix relatif de soi-même, "choix" signifierait ici soit acceptation (à partir d’un passé qu’on n’a pas choisi), soit refus (le suicide en étant l’extrémité). Cela nous amène à la question des conditions objectives du libre arbitre (celle des possibilités objectives du choix) et au second point de vue.

   Du point de vue de la troisième personne, c’est-à-dire pour un observateur extérieur «objectif », chacun des actes d’un agent donné s’explique par des causes extérieures, s’insère dans une continuité. La science moderne en est l’expression la plus aboutie, elle est globalement déterministe (nous laissons de côté la question du probabilisme de la physique quantique), c’est-à-dire qu’elle envisage l’état présent de l’univers comme étant l’effet nécessaire de celui qui l'a précédé, et cela en vertu des lois de la nature. Ainsi, il apparaît qu’un agent ne peut agir en réalité autrement qu’il n’agit en fait, et que s’il s’est engagé dans une action A c’est que ni B, ni C (s’abstenir) n’était possible en fonction de son passé. L’idée de libre arbitre semble ici contradictoire avec celle de loi naturelle. Comment pourrait-on nier que nos futurs possibles sont en réalité déterminés par notre passé réel ? 

   Faut-il nécessairement opposer ces deux points de vue ? 

Objectivement le présent est l’effet nécessaire du passé, mais cela rend t-il absolument illusoire la nécessité face à laquelle nous nous trouvons (subjectivement) de décider et d’agir ? Doit-on tenir notre expérience de première personne (celle de nos hésitations, nos choix, notre responsabilité…) comme purement illusoire ? 

De ce point de vue les obstacles à notre liberté n’existent que par rapport à elle, et la question n’est pas : « être ou ne pas être libre ? », mais « comment se libérer ? » La liberté deviendrait alors une pratique exigeante, le libre arbitre une difficile conquête.

   Vu que nous sommes tous des sujets, n’est-ce pas le point de vue objectif qui est abstrait ? 

N’est-il pas nécessaire de tenir pour vrai les deux points de vue : nous sommes à la fois libres (subjectivement et dans la mesure où nous y travaillons) et non libres (objectivement, dans la mesure où nous sommes une partie de la nature) ?   - JS –


 
                Sujet à venir :    Mercredi  06 Avril  2016

                            La trahison des images.

mercredi 16 mars 2016

Sujet du Merc. 23 Mars : « Savoir ce qu’on sera, ce serait vivre comme les morts » P. Nizan



 « Savoir ce qu’on sera, ce serait vivre comme les morts » P. Nizan

"L'idée ils s'en étaient aperçus les premiers, mais elle était comme un gaz essentiel dans l'air que tout le monde respirait, un air irrespirable à cause de tout cet azote de mort… Pendant des années, on ne pense pas à la mort. On a de simples avertissements de sa présence, soudain au milieu de la vie, et il y a des gens qui pensent à elle plus souvent que les autres : ils naissent ainsi. Elle passe comme un nuage, et elle pourrit brutalement tout le territoire de la vie sous son ombre ; l'angoisse aspire tout l'esprit." Le cheval de Troie  P. Nizan   1905-1940.

Tout à la fois philosophe, journaliste, auteur, P. Nizan, compagnon d’études de Sartre, obtient son agrégation de philosophie en 1929 et meurt en 1940 alors que son régiment résiste à l’avancée nazie.
La vie et l’œuvre de Nizan sont remplies par la question de l’engagement politique et de son fondement philosophique
Dans une de ses œuvres « la conspiration » (1938) on peut lire les dialogues suivants : 

«C’étaient cinq jeunes gens qui avaient tous le mauvais âge, entre vingt et vingt-quatre ans ; l’avenir qui les attendait était brouillé comme un désert plein de mirages, de pièges et de vastes solitudes. Ce soir-là, ils n’y pensaient guère, ils espéraient seulement l’arrivée des grandes vacances et la fin des examens.
— À la rentrée, dit Laforgue, nous pourrons donc publier cette revue, puisqu’il se trouve des philanthropes assez naïfs pour nous confier des argents qu’ils ne reverront pas. Nous la publierons, et au bout d’un certain temps, elle mourra           
…— Bien sûr, dit Rosenthal. Est-ce que l’un de vous est assez corrompu pour croire que nous travaillons pour l’éternité ?      
— Les revues meurent toujours, dit Bloyé. C’est une donnée immédiate de l’expérience.
Si je savais, reprit Rosenthal, qu’une seule de mes entreprises doive m’engager pour la vie  et me suivre comme une espèce de boulet ou de chien fidèle, j’aimerais mieux me foutre à l’eau. Savoir ce qu’on sera, c’est vivre comme les morts. Vous nous voyez, dans des quarante ans, dirigeant une vieille Guerre civile, avec les sales gueules de vieillards que nous aurons, façon Xavier Léon et Revue de Métaphysique !… Une belle vie, ce serait une vie où les architectes construiraient des maisons pour le plaisir de les abattre, où les écrivains n’écriraient des livres que pour les brûler.
Il faudrait être assez pur, ou assez brave, pour ne pas exiger que les choses durent…
 »

« Vivre comme les morts », étrange formule. Peut-être. 

Si on veut avoir une idée de la certitude c’est peut être la mort qui nous fournit la clef. Une fois privée d’actions conscientes, qu’est notre matière (dans laquelle il faut inclure l’esprit, l’âme, la conscience et tout ce qu’on voudra et qui s’anéantit avec notre mort) ? Elle devient un long processus quantifiable, mesurable qui de pourriture nous transforme en poussière, en éléments de base d’autres modalités à venir : les atomes (tous les atomes de notre corps tiendraient dans un dé à coudre). 
La matière inerte que nous sommes devenus suit des processus sans surprises, inexorables, certains.
La réflexion du personnage de Rosenthal dans la citation ci-dessus « Savoir ce qu’on sera, c’est vivre comme les morts » est à bien saisir dans cette acception.
          
Rien n’est plus stérile que ce qui tapisse notre avenir de certitudes (à ne pas confondre la certitude (relative) des actions à mener – avoir une Rolex à 50 ans -  avec la vérité des principes qui gouvernent la réalité : dans le référentiel terrestre la loi de l’attraction fait qu’un corps qui tombe chute vers le bas (absolu)).

Dès lors comment connaitre le principe qui nous empêcherait d’être des morts…vivants ? Ce principe ne vient-il pas lui-même de la vie ? Ou plus particulièrement de l’incertitude fondatrice de la vie ? Nous naissons par hasard :
« On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille         
On choisit pas non plus les trottoirs de Manille        
De Paris ou d'Alger   
Pour apprendre à marcher   
nom'inqwando yes qxag niqwahasa
 
» (Langue Zoulou) Quand on a l'esprit violent, on l'a aussi confus
Maxime Le Forestier 1987

Et après ce « début » qu’est notre vie ? Une longue suite d’incertitudes, dont les religions se sont délectées, dont elles ont fait « l’arôme spirituel » en nous vendant leurs « solutions », leurs destins, leur paradis et leurs enfers terrestres au nom de la foi et du fric. Car l’homme qui côtoyait quotidiennement l’incertitude des climats, des animaux de chasse, des fruits …. Est devenu sédentaire, puis propriétaire. Cette sécurité dans le lendemain, certains en ont profité pour créer des chimères. 
De simples échanges inter humains, le commerce devint monétaire, déshumanisé. Toutes les choses eurent des valeurs, les hommes aussi. Et l’homme crut qu’il était sûr, plus sûr qu’avant, avec ses économies, sa carte bleue, rien !

Alors il va falloir rejoindre ce groupe de jeunes gens que nous présente Nizan. Ces  jeunes gens  qui ne s’imaginent pas vieillir autrement que …jeunes….. VIVANTS !  C’est-à-dire éternellement incertains du devenir mais si prompts à le décrire, à l’appeler de leur vœu. La mort n’est pas leur problème. 

Seul le mouvement compte. Seule la dialectique du processus du changement les motive, comme elle motive nos corps sans que nous n’y prenions garde. Tout le monde sait l’avenir : nous sommes mortels, et avant ?

L’incertitude est inscrite au fronton de leurs projets. Quel renversement par rapport à leur temps et au nôtre ! Celui des illusions confortables, de la fin de l’histoire. On va à la fac, on finira avocat ou médecin (forcément), on aura une villa à crédit (bien sûr), on ira au ski et à la plage….. Avons-nous oublié d’où nous venons ? Avons-nous oublié à ce point tous les autres, nos semblables ?

« On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille         
On ne choisit pas non plus les trottoirs de Manille
 »
….
Mais ne nous y trompons pas. L’incertitude, n’est pas indécision

L’incertitude ce n’est pas ne pas savoir ou l’on va : c’est savoir où l’on va sans savoir comment on y va !

L’incertitude de Nizan est tout sauf une réponse philosophique idéaliste. Le métaphysicien de service nous aurait dit « l’important c’est de savoir pourquoi on y va ». 

Mais, prédit Nizan : « Les simples têtes humaines ne sont pas à l’aise dans le ciel glacial des idées » (Les chiens de garde) – Que les métaphysiciens passent leur chemin.  
      
Nizan dans ses œuvres nous propose une totalité de la volonté, de l’espoir, pour un but. La seule question qui vaille c’est le « Comment ». Le pourquoi est en lui-même une incertitude potentielle, une stagnation possible. Le comment résout la contradiction en nous donnant les moyens de l’action.     

Dans cette incertitude féconde du devenir de l’homme, Nizan ne sera pas un tiède. Dans Aden Arabie il déclare « « Que pas une de nos actions ne soit pure de la colère….Pureté de la colère : que de crimes commis en ton nom ! », ce que rappelle le refrain en langue zoulou du texte de M. le Forestier « nom'inqwando yes qxag niqwahasa » Quand on a l'esprit violent, on l'a aussi confus. 

 L’incertitude impose la réflexion. La croyance dispense de tout examen critique.

La colère ou la violence sont inévitables lorsqu’on a conscience du présent et du devenir. La suggestion de Nizan c’est que ces sentiments, ces passions, participent de l’action mais n’en soient pas le moteur. 
On  peut s’indigner dans le calme et le repos d’un bureau de philosophe MAIS, ne l’oublions jamais nous pourrions tout aussi bien nous trouver sur les « trottoirs de Manille », et en tout cas d’autres s’y trouvent !

Cette seule certitude n’impose t elle point le combat ?

vendredi 11 mars 2016

Sujet du Merc. 16/03/2016 : NOTRE ARGENT EST-IL LE NÔTRE ?



 

                                          NOTRE  ARGENT  EST-IL  LE  NÔTRE ?

« Dis-moi dans quel ordre politico-monétaire ta vie est organisée et je te dirai l’univers social qui fait ton quotidien. » La compréhension philosophique de l’argent est fondamentale en ce qu’il est l’expression visible pour tous du lien social qui ne peut perdurer sans cette représentation symbolique, une fois franchi un certain seuil d’organisation sociale. Les hommes n’existent qu’en société et Aristote les caractérise comme « animal politique » : nul n’existe comme monade dans un éther idéaliste. En réalité, l’histoire montre comment « notre » argent n’est pas le nôtre depuis des millénaires (points 1 à 6).

1.  Dans le petit groupe de l’âge de pierre, chacun reconnaît à l’autre une importance vitale, signe de confiance mutuelle. Est-il besoin de symbole à ce lien immanent ? Plus tard des communautés nomades viennent à se rencontrer, reconnaissent leurs différences. Des entités aux valeurs, normes et nécessaires contraintes sociales distinctes se formalisent en signes matériels (talisman, amulette, idoles, représentations diverses) comme reconnaissance de vie commune. Ils signifient deux choses : 

1) que les hommes se reconnaissent mutuellement dans un processus d’imitation progressive, dialectique en quelque sorte, construisant par rivalité mimétique une représentation d’eux-mêmes comme communauté soudée et 

2) que chacun est redevable de sa vie envers sa communauté.

A cet égard les hommes sont la première « monnaie » au titre de reconnaissance de dette de vie mutuellement réciproque, en toute confiance et foi en l’autre.  C’est la reconnaissance que l’entité sociale que nous constituons nous constitue en retour. Celle-ci est le gage ultime de notre (sur)vie et de notre sécurité : en dernier ressort, c’est elle qui nous prête vie. Elle est notre « prêteur en dernier ressort » et sa représentation matérielle, « la monnaie », nous le rappelle. En termes modernes, elle est « notre banque centrale » initiale, ce que le groupe humain a de plus cher et sacré : lui-même.
Ainsi, une première re-ligion naît qui re-lie chacun comme égal à tout autre. Reconnaissance et foi de vie, elle est illimitée et tend à s’exonérer en offrandes et sacrifices offerts à la représentation sacrée de la société. Ceux-ci peuvent ensuite revenir aux donateurs par simple réversibilité puisque l’entité sociale n’est qu’eux-mêmes constitués en société.

2.  Pourtant le lien de réciprocité égalitaire se distend jusqu’à la rupture lorsque l’expansion du groupe exige que certains s’offrent à gérer la redistribution des dons faits aux dieux. Par mille rituels mystificateurs noyant les esprits dans l’ignorance et le faux, les prêtres ont tôt fait d’en privatiser la plus grande part, à leur profit. Entrepreneurs politiques, ne sont-ils pas la caste des maîtres sacrés de la première émission « monétaire » comme privatisation du bien commun ? L’immense dette de vie se constitue dans le nid de la religion et construit les bribes d’un proto-Etat comme rupture radicale avec le lien égalitaire devenant moteur de l’histoire. A cette concentration privative des richesses correspond la dépossession des hommes tant de leurs biens que d’eux-mêmes (aliénation). Notre dette de vie réciproque représentée par « notre monnaie », en fait notre vie, n’est alors déjà plus la nôtre.

3.  Lorsque la dette prend la forme monétaire métallique, elle reste tout aussi primitive que la dette de vie envers les dieux (en fait, les prêtres et les politiques). Cette primitivité provient du fait que « la monnaie », tout comme les dieux, n’est pas une construction humaine consciente et utilitaire, mais un fait social extérieur « dépassant » chaque individu. C’est une « extériorité », dont certains prétendront faire croire à une transcendance.

Pour autant, parce que l’histoire est un processus de privatisation et d’occupation de l’extériorité par des entrepreneurs politiques, la monnaie devient un enjeu majeur de pouvoir disputé avec divers autres agents privés de la société : celui qui peut la fabriquer peut, dans le même geste, fabriquer de la dette pour tous et s’en dispenser lui-même. Il lui suffit d’en assurer la rareté qui en fait le prix d’acquisition pour tous les autres. La contrainte monétaire ou « loi d’airain de la monnaie » assure la répression politique, sociale, économique, environnementale correspondant à un état particulier du monde. L’emprunt se fait à intérêts croissants comme emprise majeure sur la force vive des hommes. Le créancier illimité produit de la monnaie à partir de mines de métal rare nécessitant l’extorsion sans fin du travail d’esclaves comme prêteur en dernier ressort. Despote, il se servira de la monnaie métallique d’état pour rémunérer des gens d’armes mercenaires qui assurent tant « la paix » intérieure sur le peuple que les guerres de conquête fournissant plus d’esclaves, mines, monnaie et sujétion générale. Le despote, lui, s’exempte de toute dette.
On est déjà dans un monde monétaire moderne où le paiement est libératoire de la dette. Contrairement aux temps passés, ni l’Etat ni les mercenaires ne sont alors plus liés par une dette illimitée. Elle s’éteint : les deux « partenaires » sont des obligés réciproques intermittents dans une logique d’échanges marchands. Les paiements des mercenaires en pièces de monnaie émises par la « banque centrale » sont acceptés par les marchands qui, eux par contre et nous tous, sont ensuite « invités » à payer leur dette par l’impôt d’Etat. Ce dernier impose ainsi la loi d’airain de sa monnaie, signifiant que l’argent qu’il crée est pour un temps réparti avec intérêts dans nos mains. Il n’est donc pas le nôtre. Il est notre dette à vie envers le despote et n’a fait qu’y passer pendant les quelque 5000 dernières années, jusqu’à il y a 4 décennies.
Sauf pour une seule puissance aujourd’hui encore hégémonique. L’extraordinaire efficacité de ce système « militaro-monétaire » fait que les dépenses militaires planétaires actuelles des Etats-Unis sont toujours financées par ce type de création monétaire immodéré par lequel sa banque centrale n’est plus constituée de mines activées par des esclaves, mais est une simple émettrice de papier à volonté et, déjà, d’activations électroniques « à la carte » obéissant à l’instant et à coût nul avec infiniment plus de zèle que les esclaves ou les presses à pièces et à billets de papier. Le « circuit du Trésor » français eut lui aussi la possibilité de financer deux guerres mondiales en plus du redressement du pays après 1945.

4.  Mais le système se saborde sous la présidence Pompidou diligentée par les banques et se convertit en son contraire dans une course obligée pour tenter, mais en vain, de rattraper l’illimitation de la financiarisation monétaire étatsunienne. Ne sommes-nous pas passés, en une nuit giscardienne de la Saint Sylvestre 1973, du pouvoir discrétionnaire de l’Etat-nation  -- despote politique éclairé par le Conseil National de la Résistance assurant les « Trente glorieuses » -- à une libération privative de la monnaie par les entrepreneurs politiques cédant leurs prérogatives de création monétaire ad libitum aux entrepreneurs économiques et financiers privés qu’ils se sont d’ailleurs empressés de rejoindre ou d’en devenir les féaux. Nous laissant démunis, nus. L’argent n’est-il pas alors moins que jamais le nôtre quand les entrepreneurs privés ont pouvoir de créer la monnaie qu’ils vendent avec intérêt à l’Etat assujetti dont nous remboursons la dette sans fin par l’impôt ? Avons-nous pris l’exacte mesure de cette réalité dont nous voyons partout dans le monde les ultimes effets privatifs ?
Comment expliquer cette fuite encore plus loin de nous de l’argent que nous croyons nôtre ? Certes par l’aliénation découlant de notre incurie et de notre ignorance de ce qui est tant le moyen que la cause soit de notre servitude, soit de notre potentielle liberté (Spinoza). Il n’y a pas à tergiverser là-dessus. La rapide décroissance des profits du fordisme  --  étroitement couplée (dans la généralisation d’une subite opulence et de la consommation pulsionnelle associées) au refus populaire depuis ’68 de l’autorité inhérente à ce mode de gestion sociale  --  fut suivie par la dissolution de la convertibilité en or de la devise étatsunienne soumettant la richesse des nations à une seule d’entre elles.

5 .  Ce bouleversement du mode capitaliste d’exploitation du monde a signé le transfert aux agents privés de la contrainte d’Etat, celle de la loi d’airain de la monnaie. C’était la fin annoncée à la fois 

1) de l’Etat-nation providence dans lequel la monnaie ne nous appartenait déjà pas même si le choix de l’Etat fut de l’investir pour le bien commun, nonobstant la garantie primordiale des profits d’intérêts privés inhérents au régime capitaliste d’accumulation croissante des richesses en toujours moins de mains, et 

2) du frein des Etats-nations à la mondialisation du fordisme et aux nouvelles grappes technologiques assurant 

a) la surmultiplication des profits privés par des investissements libres dans l’étranger pauvre qu’actionne une main d’œuvre à bas coût, et 

b) la libération illimitée des pulsions consommatrices des biens produits revendus avec surprofit.

A cet effet, le rapide endettement à intérêt de tous accroît encore les profits ce qui requiert de nouveaux emprunts, eux aussi à intérêt afin d’honorer les premiers. L’impasse a été occultée par une financiarisation jusqu’à éclatement de bulles dont les pertes sont re-financiarisées avant la mise en défaut d’argentiers d’importance monétaire systémique trop grande pour que l’Etat les laisse faillir. Après la privatisation de gains hyperboliques par les créanciers, l’Etat socialise ces immenses pertes en dette publique, à charge pour les contribuables de les rembourser au prix de l’exténuation de leur force vive. Désormais tout argent créé par le système l’étant sous forme de crédit ou dette, est-il excessif de prétendre que l’argent dans nos poches, compte bancaire ou investi où que ce soit n’appartiendrait à terme plus à son propriétaire, devenu « pseudo » à son insu ? Ou ne serait-ce pas plutôt par consentement à l’aveuglement volontaire ?
Se dessiller les yeux pour voir la réalité à la racine, c’est cela la philosophie. Déjà certains Etats autorisent les banques à nous refuser de retirer les billets de nos comptes, eux-mêmes déjà transformés en simple reconnaissance de dette de la banque envers nous, et ils nous contraignent à l’usage de « la fausse monnaie privée » de banque que sont virements et cartes. Les faux-monnayeurs terroristes légaux sont partout qui préemptent notre argent (qui déjà ne nous appartient plus) comme perfusion de nos forces vives.

Même les plus riches pourront-ils bientôt encore croire à leur fortune ? Car finalement « il n’est de richesse que d’hommes » (Jean Bodin, philosophe de la Renaissance). Et s’il n’y a de force vive d’hommes que comme eux limitée, logiquement la limite d’une fortune ne prend-elle pas fin quand cette force s’épuise ? 

1) Sauf à reporter les gigantesques dettes actuelles sur la force vive des générations encore à naître ? 

2) Ou alors comme pour la Grèce, à transférer partie de la dette à d’autres Etats, à charge de leurs contribuables de la régler ? 

3) Ou à susciter des guerres destructrices et meurtrières (dette de vie convertie en dette de sang) dont l’activité de remise à neuf qu’elles imposent diluera les dettes de toute une population mise au travail à cet effet ? Après avoir déjà payé le prix du sang de la guerre.

6.  Et l’avenir ? La monnaie n’étant qu’une convention issue de la volonté des hommes, n’est-elle en somme pas qu’arbitraire et donc révisable puisqu’elle dépend de la nature, propriétés et fonctions que nous avons convenu entre nous de lui donner ? Ou plutôt dont nous avons laissé certains convenir. Et dont, par relâchement, nous avons fait nos maîtres, aujourd’hui devenus exploiteurs ultimes. En sommes-nous conscients ? Et surtout sommes-nous conscients des causes profondes (Spinoza) de cet état de fait ?
N’est-ce pas à nous d’œuvrer ferme à changer la convention monétaire, comme ce fut le cas à de multiples reprises dans l’histoire ? Comment ? 

1) Par la réflexion philosophique sur les causes et sur la notion fondamentale de dette de vie, dette de sang, dette de travail, dette monétaire, dette sociale sachant que, par un mécanisme dissimulé, aujourd’hui tout argent est dette parce que produit privativement par un crédit ? 

2) Soit par la réforme ? 

3) Soit encore par la révolution ? 

C’est à voir. L’exploitation du monde en sera bouleversée au gré de la recomposition des pouvoirs qui s’imposeront dans ce processus et de la nouvelle définition monétaire qu’ils décideront. Il s’agit de (philosophie) politique. Et donc d’action.

Parlons-en. Quel est ce mécanisme caché qui fait toute notre ignorance et la stupeur religieuse qui force à une soumission aliénée devant l’argent, alors même que pour nous ce dernier n’est rien d’autre que l’image de nos forces vives réunies ? Un ensemble de subterfuges sophistiques, véritables prodiges, est à l’origine de leur préemption privative. 

1) Un aréopage d’individus avisés et trompeurs affirme et convainc fallacieusement que nos vies peuvent se représenter spirituellement par une idée, une religion et qu’ainsi, se confondant avec celle-ci, nos vies lui appartiennent. 

2) Reconvertir ensuite cette image de vie en une nouvelle représentation, cette fois faite de matière inerte, est un autre subterfuge par lequel la monnaie prétend à la propriété d’autoreproduction propre à la vie (Calvin). Ce dont nulle idée et nulle matière, par définition inertes, ne sont capables.

3) La rareté, naturelle ou construite, fait la valeur d’une chose. Le choix d’une matière rare et éblouissante comme l’or camoufle le subterfuge et en fait une monnaie adéquate pour représenter la vie comme valeur ultime. Elle sera distribuée sous la contrainte arbitraire d’un prix (la fameuse dette de vie), à savoir le taux d’intérêt de son emprunt, termes signifiant tous deux que cette monnaie ne nous appartient pas

4) Passer ensuite à la possibilité de prêter bien au-delà de la disponibilité en métal rare par l’usage de certificats de dépôt de celui-ci échangés de main en main au gré des transactions surmultiplie artificiellement la monnaie à notre insu et donc le volume de sa valeur, représentation de nos vies. En réalité ce prodige, au contraire, en diminue d’autant la valeur de rareté jusqu’à entièrement nous déprécier, sans que nous en réalisions ni le processus ni les causes. 

5) Il suffit ensuite de promulguer une règlementation ou contrainte modulée sur les circonstances stipulant que billets, titres financiers et bits électroniques sont de la monnaie conforme à sa valeur officielle. Et qu’il nous faut les emprunter à intérêt. 

C’est la loi d’airain de la monnaie, aujourd’hui absolue. Ce mécanisme occulte assure la ponction ad infinitum de nos forces de travail et de vie ainsi que celles du milieu naturel. Une telle convention arbitraire reste à renverser. 




                       Prochain sujet :Mercredi  23 Mars 2016

        « Savoir ce qu'on sera, c'est vivre comme les morts » P. Nizan



Sujet du Merc. 23/03/2024 : Le cas Nietzsche.

                                   Le cas Nietzsche.       Pourquoi un tel titre ? Qui aurait l’idée de dire « le cas Diderot », ou « le c...