lundi 3 octobre 2016

Sujet du Merc. 5/10 : Le Pouvoir de l’oubli

                           Le Pouvoir de l’oubli

L'oubli est un processus progressif ou spontané qui fait que l'individu ne peut se rappeler les souvenirs qu'il avait enregistrés. Lorsqu'il n'est pas l'effet d'une dégénérescence maladive ou d'une perte définitive de la mémoire, l'oubli peut être interprété ou bien de manière nihiliste et fatale (Nietzsche,  Blanchot) ou bien comme l'épreuve provisoire qui précède chaque prise de conscience (Platon,  Bergson)

Endel Tulving  postule que les souvenirs ne sont oubliés qu’en apparence, car ils sont stockés dans notre cerveau mais souvent difficiles à remémorer. Freud pense l’oubli comme fonction protectrice de l’ego. Une sorte de refus de fonctionnement d’une faculté psychique qui fait, qu’à côté du simple oubli d’un nom ou d’un mot, il existe des cas où l’oubli est déterminé par le refoulement.

Montaigne disait préférer une tête bien faite à une tête bien pleine. Clemenceau, opposait deux grands hommes politiques: « Poincaré sait tout, mais il ne comprend rien ; Briand, lui, ne sait rien, mais il comprend tout. ».
Edouard Herriot définissait la culture comme « ce qui reste quand on a tout oublié ». La culture  ne se comprenant  pas dans la masse de connaissances accumulées mais dans une longue stratification qui individualise son porteur.

Le pouvoir, lui,  est défini comme la capacité ou  la possibilité de faire ou de percevoir. La puissance, elle, est le pouvoir de dominer des hommes, d'obtenir d'eux ce qu'ils n'auraient pas fait sans l'effet d'une puissance. Si on comprend que l’action d'un Sujet sur lui-même est non seulement possible mais encore légitime puisque, ce faisant, il dispose de sa liberté, l'exercice de la puissance sur autrui pose le problème de sa possibilité et de sa légitimité.

Le pouvoir de l’oubli réside dans  sa capacité bénéfique ou  nuisible, selon que l’homme est libre ou non d’en user.

Chez Platon, l’oubli était un scandale moral et philosophique, que la maïeutique cherchait à réparer. Chez Nietzsche, au contraire, l’histoire, au niveau des peuples freine leur liberté créative : l’histoire n’est pas, comme le veulent Hegel ou Marx, un principe d’unité, mais un poids commun, une pesanteur collective empêchant les peuples de se déterminer d’eux-mêmes. Le sens ne s’hérite pas, il s’invente. Tant au niveau collectif qu’individuel.

Deleuze évoque "une absolue mémoire qui ne fait qu'un avec l'oubli. Seul l'oubli retrouve ce qui est plié dans la mémoire .Ce qui s'oppose à la mémoire n'est pas l'oubli, mais l'oubli de l'oubli. »

Pour vaincre les malheurs terrestres, pour parvenir à les aimer, il faudrait pouvoir les oublier et en même temps les accepter. Or cela est possible lorsque se réalise pour Nietzsche l'épreuve du Retour éternel. : « je peux oublier ce que je dois faire, qui je suis, et pourtant aller dans la bonne direction, devenir (sans le savoir) ce que je suis..  
Dans le plus petit comme dans le plus grand bonheur, il y a quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur : la possibilité d’oublier,  la faculté de sentir les choses, aussi longtemps que dure le bonheur, en dehors de toute perspective historique…  
L’homme qui est incapable de s’asseoir au seuil de l’instant en oubliant tous les événements du passé, celui qui ne peut pas, sans vertige et sans peur, se dresser un instant tout debout, comme une victoire, ne saura jamais ce qu’est un bonheur et, ce qui est pire, il ne fera jamais rien pour donner du bonheur aux autres » (Nietzsche – Considérations inactuelles)

Pour Nietzsche, l'oubli a également une fonction critique. Tout d'abord, il dévalorise le pouvoir illusoire de la conscience à penser tout connaître. "Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu'elles le sont »
L'oubli a de multiples fonctions positives. D'abord, il peut être un repli passager de la conscience dans un vide reposant. Il permet d'assimiler et d'enrayer des expériences négatives.  Pour Alain, l'oubli préserve ainsi des folies de l'imagination : "Les rêves seraient inexprimables et tout de suite sans intérêt, c'est-à-dire oubliés aussitôt. C’est cette faiblesse d'esprit qui fait les fous."

A côté de l’oubli librement consenti, on peut aussi imaginer l’oubli imposé par l’action physique, la manipulation, la propagande. Elle découle de multiples observations scientifiques, médicales sociologiques ou politiques.

Nietzsche disait déjà que l’oubli est un pouvoir actif, une faculté d’enrayement de notre intense et rapide absorption psychique face à notre lente assimilation.

Initiés par Hermann Ebbinghaus, de nombreuses études ont permis de conclure que les informations acquises à un moment donné sont sujettes à oubli, si d’autres informations sont présentées pendant qu’un processus de consolidation n’a encore pas pu se former. Quelle tentation pour les manipulateurs..

On peut repenser au  périple d’Ulysse et de ses compagnons, vers l’île des Lotophages, ou le « fruit de miel » qu’ils absorbaient provoquait un oubli artificiel, permettant à ces indigènes de vivre en paix. Aussitôt mangé par les émissaires d’Ulysse, le lotos ôtait toute envie de retour à la patrie. Ce n’est pas qu’un mythe..

Un pouvoir qui ne serait pas maître de soi ne serait qu'une puissance de réaction aliénée, une passion. L'individu s'appelle donc à devenir sujet, en s'éduquant, à tout pouvoir sur soi pour que sa capacité d'agir ne relève que de lui.
 Mais les individus, prisonniers de l'opinion, succombent à l'illusion d'accroître leur être par un paraître.

 Parce qu'elle veut de l'ordre, et la conservation de son ordre, la puissance prend le masque du pouvoir et utilise le savoir pour ses manœuvres. Pour exercer sa tyrannie, la puissance demande cet ordre particulier au savoir. Il suffit alors de persuader les prisonniers de la caverne que les "lois de la nature", sont, contrairement aux lois humaines, incontournables et qu'elles leur sont préférables. A la faveur de cette confusion, on impose l'ordre du savoir à l'homme. Bien entendu, on a mélangé le savoir et la science qui n’est qu'une suite d'erreurs rectifiées.


Nous ne sommes pas sortis de la caverne et nous vivons dans un tissu social parcouru par la collusion entre le pouvoir et le savoir, par la croyance en la science, comme si on pouvait classer les individus dans une bibliothèque, bien rangée, loin d’un Rousseau qui osait fermer les livres pour devenir lui-même.

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