dimanche 31 décembre 2017

Sut du Merc. 03 Janvier 2018 : C’était mieux avant ! Sauf ailleurs ….



                           
                                 C’était mieux avant ! Sauf ailleurs ….

Tout fout le camp. La famille, la patrie, le travail. Les « valeurs » explosent et sont remplacées par des tripatouillages qui permettent la valorisation des egos narcissiques. On ne change rien on « customise ». La crasse s’installe, seul l’emballage compte. Comme le disait une pub voici quelques années : « à fond la forme ».

Est-ce un nouvel esprit pour des temps nouveaux ? Ou une décadence irrémédiable ? Etait-ce mieux « avant » (avant quoi ? faudrait-il demander !) ?

Y a-t-il des critères pour juger du mieux, du bien, du bon, du mauvais ? En effectuant quelques recherches sur ce sujet avec mon google préféré qu’elle ne fut pas ma surprise de voir apparaitre des milliers d’occurrences. A la question « c’était mieux avant » des milliers de liens renvoyaient vers cette sentence : « Non, ce n’était pas mieux avant, je peux en témoigner ». Mais quel était cet outrecuidant qui, du haut de ses 87 ans, (« argument » d’autorité imparable !!), pouvait ainsi poser une sentence aussi radicale ? Mon sujet était-il donc clos ?

J’appris que c’était un philosophe, qui plus est académicien, l’ineffable Michel Serres, le gascon préféré de France Info et invité chéri des médias. En 2013 il publie un opuscule « Petite poucette » et c’est dans ce texte que Michel nous assène SA vérité : « La différence entre le monde où nous vivons et celui d’aujourd’hui est spectaculaire. 70 ans de paix, ça n’est jamais arrivé. L’homme qui vit 80 ans en moyenne, ça n’est jamais arrivé. Les paysans qui ne représentent plus que 3% l’humanité, ça n’est jamais arrivé. Non, ce n’étais pas mieux avant, je peux en témoigner. Avant, nous étions gouvernés par Hitler, Mussolini ou Franco : rien que de braves gens… Nous avons aussi vécu la guerre mondiale avec 45 millions de morts….. »

Comment ! 70 ans de paix, mais Où ? Dans le Gers, à Stanford, à la Sorbonne ?  ….. et celui qui énonce cela de déclarer : «  j’ai même servi comme officier de marine sur divers vaisseaux de la Marine nationale, notamment lors de la réouverture du canal de Suez et durant la guerre d’Algérie »  (à noter pour les connaisseurs le mot « réouverture du canal » qui signifie guerre contre un état souverain l’Egypte).    
 
C’est que notre « témoin » a fait l’école navale, puis l’agrégation de philo à la rue d’Ulm, APRES QUOI il devint officier de la marine française.

Les philosophes - ou ceux qui se disent tels -  doivent être jugés à leur vie concrète. Il ne faut pas se laisser séduire par leurs mots doucereux et leur supériorité bienveillante. Et il en est de Serres comme de tous les hommes. Leurs diplômes, leur langage lentement ouvragé, leurs titres ne doivent pas impressionner ceux « d’en bas ». Les clercs de l’optimisme post moderne, restent des clercs et remplissent leurs fonctions de prédicateurs.

Et le clerc Serres salue notre époque un peu comme J. Attali : « les dernières pages du livre de Serres, célèbrent la « pensée algorithmique », appellent à l’avènement de « l’idée de l’homme comme code » et à la mise au point d’un « passeport universel codé », relèvent d’une prophétie très ambivalente : « Dans des ordinateurs, dispersés ailleurs ou ici, chacun introduira son passeport, son Ka, image anonyme et individuée, son identité codée, de sorte qu’une lumière laser, jaillissante et colorée, sortant du sol et reproduisant la somme innombrable de ces cartes, montrera l’image foisonnante de la collectivité, ainsi virtuellement formée. De soi-même, chacun entrera en cette équipe virtuelle et authentique qui unira, en une image unique et multiple, tous les individus appartenant au collectif disséminé, avec leurs qualités concrètes et codées. » 
On ne sait pas trop si c’est un rêve ou plutôt un cauchemar qui est ici annoncé avec une telle emphase : car ce « collectif connecté » d’individus résumés à leurs données chiffrées, évoluant selon des « procédures » dans une société « volatile », vouée à l’échange rapide et incessant d’informations, ressemble davantage pour nous à une fourmilière – ou à l’activité d’un call center - qu’à une communauté humaine telle qu’on peut la désirer. Ce risque d’un tel devenir-insecte, c’est ce que le philosophe académicien ne veut pas voir, entrainé par l’euphorie lyrique de son propos » J. Gautier in  http://skhole.fr/petite-poucette-la-douteuse-fable-de-michel-serres  (lire l’intégralité de l’article).

Laissons –entre autres- M Serres à son insularité insolente et dévoilons ce que le passé peut avoir d’enrichissant. En dehors de la Sorbonne et de l’école navale, du pays gascon et de Stanford il existe un vaste monde ou s’affrontent et se sont affrontés diverses conceptions du monde, divers rapports entre êtres humains.

Alors les indiens pensent-ils que c’était mieux avant Colomb, les conquistadors, les cow-boys  et les colons ? Les Irakiens pensent-ils que c’est mieux depuis que le U$A ont fait table rase de leur pays ? Les vietnamiens pensent-ils que c’était mieux avant que le napalm ne tue ? Les chinois pensent-ils que c’était mieux avant 1949, quand leur pays subissait 22 années d’occupations japonaises et occidentales ? Les maliens, les nigérians, pensent-ils que c’était mieux avant …. L’arrivée des compagnies minières qui leur ont volées leurs terres pour l’uranium ou le coltan ? Etc …..

Pourquoi dénierions-nous à ces pays et ces peuples le droit de penser que, oui, c’était mieux avant !

Est-il passéiste de regarder dans le passé pour construire l’avenir au lieu de s’extasier, béats, devant une histoire qui semble aller directement vers le progrès humain ? 

 Il y 50 ans, en France, la plupart des maisons dans les villes moyennes disposaient d’un jardin potager qui permettait d’avoir, outre une activité, des petites récoltes pour la famille. La folie des métropoles et le bétonnage de l’espace ont fait disparaitre tout cela. Nous ne savons plus faire pousser une salade et sommes tributaires de l’industrie agroalimentaire. 
Nous avons perdu en indépendance et en savoir-faire et ce ne sont pas les tablettes interconnectées de Mr Serres qui pondront des œufs.
           
Une part du passé est morte. Mais nous sommes des êtres historiques et nous ne pourrons pas envisager le futur sans garder en nous, non pas la nostalgie, mais l’apport et les leçons de modes de penser et de vie qui forment notre devenir. 

Nous ne devons pas nous prosterner devant une idée de l‘histoire envisagée comme circulaire ou achevée dans laquelle nous ne serions que des « chiens heureux » (F. Fukuyama – La fin de l’histoire – 1992). 

Sachons préserver ce qui « était mieux avant ».

lundi 25 décembre 2017

Sujet du Merc. 27/12/2017 :Pureté et impureté du corps féminin. Y a-t-il des racines religieuses aux violences faites aux femmes ?

Pureté et impureté du corps féminin. 

Y a-t-il des racines religieuses aux violences faites aux femmes ?




« L’homme a pris aussi le commandement dans le foyer ; la femme a été dégradée et réduite à la servitude ; elle a été transformée en esclave de sa luxure et en un simple instrument pour la production d’enfants (…). Pour garantir la fidélité de sa femme et, par conséquent, la paternité de ses enfants, elle est livrée sans conditions au pouvoir du mari ; si ce dernier la tue, il ne fait qu’exercer ses droits ».  Engels

« Parvenir à l’égalité réelle entre l’homme et la femme dans la famille est un problème ardu. Toutes nos habitudes domestiques devront être révolutionnées avant que cela ne puisse se produire. Et, cependant, il est évident que s’il n’y a pas de véritable égalité entre le mari et sa femme dans la famille, tant au quotidien que dans leurs conditions de vie, nous ne pourrons pas parler sérieusement de leur égalité dans le travail, dans la société ou même dans la politique ». Trotsky, 1920



La violence faite aux femmes ne serait-elle qu'un cas particulier d'abus de pouvoir dans la violence sociale, un épiphénomène du traitement de l'autre comme un moyen, ou encore la transposition de la lutte des classes à la lutte des genres qui soulignerait la triple aliénation du corps féminin à la production dans le travail, à la reproduction de l'espèce et comme objet sexuel ? Une quatrième forme d'aliénation serait à ajouter, celle de l'instrumentalisation par le marché du corps féminin hyper-esthétisé par la publicité qui fait vendre. 

Il semble au contraire que la culture humaine se soit constituée dans un système patriarcal misogyne datant de 7 à 8000 ans, qui ne cesse pas au cours de l'histoire de légitimer la domination masculine par l'infériorité ontologique des femmes. L'infériorisation des femmes est une fabrication de la culture, à laquelle contribuent dans une remarquable convergence les discours de la mythologie, du droit, de la médecine et de la science, de la philosophie, de la religion, de la littérature, etc., qui ne sont que les reflets des préjugés de leurs époques, à de rares exceptions près : l'Amour courtois des troubadours qui réhabilite la femme, sa prolongation dans la galanterie française (C.Habib) du Grand Siècle qui renverse la domination physique naturelle des hommes en déférence et protection des femmes – s'agit-il d'une forme de sexisme bienveillant, demande S.de Beauvoir ? - et les romanciers du XIXe à sensibilité sociale -Hugo, Zola, etc.- qui illustrent la double peine d'être femme et pauvre. La domination masculine est physique, sociale, symbolique, politique et culmine dans la violence symbolique quand la victime intériorise le système de croyances de son exploiteur et le perpétue (l'excision en Afrique est pratiquée par des matrones qui ont été des petites filles excisées). Cette infériorité ontologique se fonde sur la question complexe du corps féminin, objet hautement ambivalent de convoitise et d'horreur, de dégoût et de prodige, divinisé et avili, idolâtré et animalisé. 

De plus, négligeant les conditions socio-historiques qui encadrent la condition féminine, l'infériorisation de la femme repose sur l'essentialisation d'un supposé éternel féminin en son immuable substance : La Femme, doté d'un prétendu instinct maternel de mammifère ; essentialisation dans laquelle on s'efforce de contenir pêle-mêle les mères-courage et les ravissantes idiotes, les éternelles mineures, les tentatrices, les dominatrices, la maman et la putain, selon le titre du film de J.Eustache. "

1.Quelques faits :
A métier égal, la différence salariale en France entre homme et femme se situe entre 16 et 26 % environ avec une forte concentration de femmes dans les métiers les moins rémunérateurs et les plus précaires (INSEE). Selon l'Observatoire des Inégalités, en 2016, le travail domestique d'une femme dans un couple est de 3h30 par jour, de 2h pour son conjoint. En France une femme meurt tous les 2,5 jours sous les coups de son compagnon, 122 en 2015. On compte environ 75 000 viols par an, 1 femme sur 10, dont 57 % sont mineures. 

 Selon l'ONU, l'Afrique sub-saharienne, le Proche-Orient, l'Asie du Sud-Est et l'Amérique du Sud comptent 135 millions de femmes excisées et 170 000 en Grande-Bretagne aujourd'hui. Il n'existe pas de statistique sur l'infibulation. 80% des prostitués dans le monde sont des femmes. Selon l'ONU, ces dernières années, 700 millions de filles ont été mariées de force dont un tiers avant la puberté. L'UFAM estime à 5 000 par an les crimes d'honneur perpétrés par les frères, oncles et père de la victime. Une israélienne ne peut pas divorcer sans le consentement de son mari. Au Nicaragua comme dans 66 pays du monde, l'avortement est interdit. Selon M.D.M, 47 000 femmes dans le monde meurent de suites d'un avortement clandestin ; sans accès à des soins médicaux élémentaires, 300 000 décèdent de complications liées à la grossesse et l'accouchement. Le code pénal du Nigéria autorise un mari à frapper sa femme pour l'amender. En Arabie saoudite, les femmes ne pourront conduire une voiture qu'en juin 2018. En Alabama, un violeur peut réclamer des droits parentaux en cas de grossesse. 

La polygamie, qui concerne environ 20 % des mariages, reste un trait caractéristique du droit africain. Dans le droit islamique, la répudiation de l'épouse relève de la prononciation d'une simple formule. Selon l'OCDE, seuls 55 pays dans le monde accordent les mêmes droits à l'héritage aux femmes et aux hommes. Selon l'UNESCO, les 2/3 des 774 millions d'analphabètes dans le monde sont des femmes. Entre 30 et 60 millions de filles dans le monde ne sont pas scolarisées aujourd'hui. Les 4/5 des victimes de la traite d'êtres humains sont des femmes. Au marché aux esclaves de Daech, une jeune fille peut valoir jusqu'à 150 dollars et être échangée contre un pistolet Beretta, etc.


2. L'appropriation du corps
La majorité des femmes du monde sont exclues du droit humain le plus élémentaire : la propriété de son corps. La malédiction d'être femme serait de concentrer dans son corps la sexualité et la maternité dans ce que la psychanalyse saisit comme le nouage complexe du Réel de la physiologie, de l'Imaginaire prisonnier des fantasmes sur le sexe, la génération et la mort et du Symbolique, grand organisateur de la lignée humaine. Pour F.Héritier, le temps long de la fabrication et de l'élevage des enfants nécessite de s'approprier les corps féminins et leur fécondité, de les répartir entre hommes et de les emprisonner dans les tâches ménagères, en dévaluant le tout. Dans la misogynie de l'Antiquité, la femme est un mâle inachevé et un réceptacle à sperme selon Aristote. 

Moquée en raison de ses revendications par Aristophane, la femme grecque et romaine est une éternelle mineure qui ne trouve sa dignité que dans la fonction maternelle et la réalisation de son destin biologique. Elle reste néanmoins incapable de transmettre autre chose que la "forme" de la vie à l'embryon, et non son "essence" -prérogative exclusivement masculine. Sous Auguste, elle peut conquérir son émancipation après son 3eme enfant. En 1900 avant JC, le Papyrus Kahoun en Egypte, repris par la médecine hippocratique, décrit l'utérus comme un organe concupiscent de nature animale qui, migrant à l'intérieur du corps sous l'effet de la frustration, produit les crises hystériques (du grec ustera, utérus). Organe venimeux, mortifère et lubrique, l'utérus migrateur des hystériques ne cesse pas de hanter l'histoire de l'aliénisme jusqu'à Charcot à la fin du XIXème siècle, qui cherche le point hystérogène dans les ovaires. Attestées en Egypte en 5000 ans avant JC, les mutilations sexuelles des filles ont pour but de créer "la" femme, un être essentialisé, rectifié, purifié et nettement différencié des hommes, arraché à la nature pour correspondre à leurs désirs et à leurs angoisses. Elles sont imposées comme une forme de socialisation qui conditionne au mariage. 

Toute la mythologie des vagins dentés étudiée par Lévi-Strauss, présente dans Les Métamorphoses d'Ovide, perpétue le fantasme d'un sexe féminin carnivore à travers tout le Moyen-Âge jusqu'aux Lumières. Elle illustre la peur primale de la différence sexuelle et de l'altérité, l'effroi devant la puissance terrifiante du ventre féminin, capable de donner la vie mais aussi imaginairement la mutilation et la mort, que Freud thématise comme angoisse de castration. La fonction des mutilations sexuelles est aussi de diminuer la dépravation des femmes signalée par Hérodote, Avicenne, Albert Legrand et Huet au XVIème. L'excision est encore recommandée sous l'ère victorienne pour guérir les petites filles de la masturbation. 

Absentes de la démocratie grecque, les femmes sont exclues du suffrage universel et les Droits de l'Homme des Lumières en font des citoyennes passives et des mères de citoyens (O. de Gouges). A la Révolution, le vol plus que le viol est considéré comme préjudiciable à l'ordre social, témoignant qu'au XVIIIe les femmes ne sont pas considérées comme des sujets à part entière avec le pouvoir de refuser une sexualité imposée. Seul Condorcet proclame que la prétendue infériorité de la femme n'est due qu'à son manque d'éducation, donc à la culture et non à sa nature. Diderot conçoit toujours le féminin comme le sexe faible, mais place l'égalité formelle au-dessus des différences naturelles et dénonce "la cruauté des lois civiles" qui assujettissent les filles. La femme comme sujet de droit émerge lentement au cours du XXème siècle. Selon l'historienne M.Perrot, ce n'en 1999 qu'elles commencent à sortir des silences de l'histoire. Le viol est timidement pénalisé en 1978 et le délit de harcèlement sexuel en 1992. Vers les années 2000, le viol est considéré dans les textes de lois comme meurtre psychique, mais la victime reste toujours un peu coupable, les soupçons de séduction et de consentement hantent encore des commissariats et les prétoires. Les femmes en temps de guerre servent de butin et de monnaie d'échange. Dans ce contexte, le viol est passé du statut de dommage collatéral à celui d'arme de guerre systématisée. En témoignent les camps de viol en ex-Yougoslavie au service de l'épuration ethnique pour inséminer les femmes de l'ennemi avec le sperme de la "bonne race". Cette pratique s'est ensuite étendue au génocide rwandais et à tous les conflits actuels, selon Amnesty International. Notons la distribution massive de Viagra aux troupes de S.Hussein. De débordement pulsionnel plus ou moins caché, le viol de guerre devient aujourd'hui une pratique publique devant la famille et la communauté pour terroriser la population quand il s'agit de s'emparer d'un territoire : la profanation de la femme est l'étape préalable à l'atteinte du droit sacré d'une communauté, la propriété de la terre. Le viol des femmes est quasi-systématique en situation d'émigration. Si le droit de cuissage n'a en réalité jamais été fondé comme tel dans le Droit Médiéval – ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas été pratiqué au Moyen âge, et peu à peu remplacé par le troussage domestique dans des siècles suivants – dans le trafic des êtres humains en errance, il est aujourd'hui le privilège des passeurs, policiers, douaniers, militaires, milices parallèles, etc.


3. Les femmes et le monothéisme.
Dans une constante réinterprétation de la Genèse selon les besoins des contextes culturels et religieux, la mythologie biblique pose la création de la femme comme dépendante et secondaire à celle de l'homme et fonde dans cette secondarité chronologique une secondarité ontologique, reprise et amplifiée par les rabbins et la scolastique chrétienne : Eve (selon une étymologie latine contestable : celle qui s'égare) est par essence coupable et maudite par Dieu. Les cinq premiers siècles de la Chrétienté ont protégé les femmes contre les préjugés, jusqu'à Tertulien qui déclenche l'hystérie anti-sexe de la morale chrétienne dont les femmes font les frais. 

 Le Moyen Age ne cesse pas d'accentuer l'infériorité des femmes et leur nécessaire subordination aux hommes, jusqu'à la secrète accointance entre la femme et le démon, déjà dénoncée par Tertulien. Les fondamentaux religieux vont verrouiller cette misogynie instituée par les pères de l'église et le droit canon codifie son infériorité et son insuffisance, son devoir d'invisibilité et de silence dans la sphère publique (Paul), sa sexualité démoniaque (Jérôme) qui n'est tolérable que sans plaisir et au service de la reproduction de l'espèce (Augustin). Dans la misogynie fondée par les saintes Ecritures, l'église assimile l'homme à l'esprit et la femme à la chair peccamineuse. La réinterprétation de la Genèse par les auteurs médiévaux assimile le fruit de l'arbre de la connaissance à la lubricité naturelle féminine, comme source ontologique du mal. A partir du XIIe siècle, le discours théologique s'acharne contre le féminin et génère en Europe une chasse aux sorcières d'une grande ampleur : elle prend la forme d'une folie persécutive qui dure jusqu'au XVIIe siècle, que les historiens n'hésitent pas à qualifier de féminicide. Sous prétexte d'éradiquer l'hérésie et la sorcellerie, les buchers de l'Inquisition brûlent des femmes du peuple, sages-femmes, guérisseuses, femmes indépendantes et irrégulières, toutes des hystériques démoniaques, "putains du diable" qui ont littéralement le diable au corps, selon les recommandations du Mallus Maleficarum (Le Marteau des Sorcières) de 1486, premier best-seller de l'histoire en Europe. La sorcière de J.Michelet en 1862 en témoigne.  Le monothéisme tente de légitimer l'assujettissement de la femme au nom de sa dignité et la propriété de son corps comme une loi divine, en plus de vouloir réglementer étroitement les pratiques sexuelles des couples. Puisqu'elle est une éternelle mineure, le devoir de l'Eglise est de la protéger contre elle-même. Au nom de la sacralité de la naissance, le monothéisme investit la physiologie féminine pour lui donner sens. Son corps est à la fois sacré parce qu'il donne la vie et impur par la sexualité. Les menstrues, sanctions divines expiatoires du péché féminin, sont souillures. 

Dans la pensée hébraïque, objectivant l'échec mortifère d'une promesse de vie, elles contaminent de leurs miasmes l'environnement matériel de la femme, voire la communauté toute entière. Les femmes, éloignées des hommes, sont astreintes à des prescriptions, des interdits et des rituels de purification précis et codés pendant 7 jours, comme aussi après l'accouchement. Les périodes féminines imposent aux musulmanes de ne pas toucher le coran et aux chrétiennes de ne pas communier, ni participer à des cérémonies religieuses, ni même de rentrer dans les églises, pratique qui ne sera abolie par le pape Jean-Paul II qu'en 1983. Après l'accouchement, l'impureté de la chrétienne qui dure 40 jours est doublée si le bébé est une fille. Les superstitions laïques sur les menstruations témoignent encore aujourd'hui de cet ostracisme. Notons que le tabou du sang imprègne encore subrepticement la société puisque dans les publicités télévisées, le sang des règles est bleu. Les religions sacralisent la virginité. "La virginité et la maternité sont les deux vocations de la femme" (Jean-Paul II). La figure de l'Immaculé Conception, dont le dogme n'est imposé qu'en 1885, vient contrebalancer les figures chrétiennes des pécheresses, Eve et Magdeleine. Dans la société patriarcale musulmane, l’honorabilité de la famille se cristallise sur la virginité de la fille reconvertie en valeur économique et valeur symbolique de notabilité. Dans un système qui nie l'être individuel de la fille au profit de son être familial, la virginité n'est pas la propriété de la jeune fille mais s'intègre dans un système de valeurs où l’ensemble de la famille, et en particulier les frères, se considère impliqué, en revendique la propriété et en assure la protection. Le tabou de la virginité a un rôle de contrôle social pesant et oblige à des mariages précoces préventifs du déshonneur redouté. On connaît les rituels d'exhibition de preuves au cours des nuits de noces et les ruses féminines attenantes, que l'on retrouve dans la légende de Tristan et Yseult au XIIème siècle. 

Pour en finir avec le tabou de la virginité, la féminine N.Huston propose le dépucelage chirurgical systématique des petites filles à la naissance. Les monothéismes assignent donc les femmes à leur corps et à leur destin biologique, tout en leur refusant le droit d'utiliser les moyens de maîtriser ce destin par le divorce, la contraception et l'avortement. Notons l'interdiction par Pie XII dans les années '50 de l'accouchement sans douleur, au double parfum de scandale : il vient de l'URSS et il permet à la femme d'échapper à la malédiction biblique d'accoucher dans la douleur. Les arguties de Pie XII pour légitimer cette interdiction restent un morceau d'anthologie. L'immémoriale misogynie des religions monothéistes fait l'objet d'un immense déni et d'un mécanisme de renversement en son contraire au nom de la dignité de la femme. En 1949, le Vatican met à l'index Le deuxième sexe de S.de Beauvoir qui écrit : "On ne naît pas femme on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine".

En pays de sexisme ordinaire, il ne fait pas de doute que les hommes ont aussi à payer le prix de la domination masculine qui finalement aliène presque autant l'oppresseur, obligé d'être à la hauteur de son image de dominant, que l'oppressée. Il reste à considérer le consentement de la dominée à sa domination ; encore faut-il qu'elle se soit déjà révélée à elle-même comme sujet dans ce rapport de domination.

  "Quand sera brisé l'infini servage de la femme, écrit Rimbaud, quand elle vivra pour elle et par elle, elle sera poète, elle aussi".


jeudi 14 décembre 2017

Sujet du 20 Décembre 2017 : Déterminisme et liberté.




De la liberté :
Parmi tous les concepts, celui de la  liberté est certainement celui qui est le plus flou, celui qui s’adapte à toute les sauces et pourtant semble être une revendication humaine universelle.
Nous imaginons les animaux libres. Ils se déplacent comme ils veulent, tuent pour se nourrir, s’accouplent pour se reproduire (ou chez certains primates pour  le ….plaisir ?). Mais quelle est cette liberté ? Elle se manifeste – extérieurement -  pour nous humains comme telle, mais à y regarder de plus près qu’est ce qui est libre dans le règne animal ?
Tout animal nait et ne vit que s’il bénéficie d’une très grande protection. Jeune un animal est une proie facile. Il est libre de se faire dévorer par un prédateur !
Adulte il lui faut chercher constamment son alimentation. Peu de gibier, des prairies qui se raréfient, un fleuve qui s’assèche et sa vie est finie.
Âgé, manquant de force et d’agilité il devient fragile et finit proie d’un prédateur



Est-ce de cette liberté-là dont nous parlons au sujet de la nature et des êtres qui la composent ? Et surtout : même si on admet que l’ensemble de la nature et des êtres qui la composent ne sont pas « libres », pourquoi en sommes venus à penser que nous – les êtres humains – nous pourrions être libres ?       
Comment en sommes-nous venus à penser que nous serions, comme le dit si bien Spinoza : « un empire dans un empire » ; être de nature mais échappant à la loi commune de la nécessité ? :

Le libre arbitre. Argument contre Descartes :

Descartes dans les Méditations métaphysiques, définissait cette faculté de l'âme humaine qu'est pour lui la volonté comme un libre arbitre, c'est-à-dire un pouvoir souverain d'affirmer ou de nier, de poursuivre ou de fuir un objet, laissant ainsi entendre que l'homme a toujours le pouvoir d'opposer sa volonté à ses désirs. En cela l’homme serait libre.

Mais, conteste  Spinoza : il n'y a au fond pas de sens à distinguer volonté et désir, tout simplement parce que l'esprit humain n'est pas à proprement parler un ensemble de facultés (entendement, mémoire, imagination, volonté, etc.), mais n'est que désir, c'est-à-dire une certaine tension déterminée, le « conatus », une tendance ou un effort
«
pour persévérer dans l'être ». Il n'y a donc pas, en deçà ou en plus de cet effort conscient de lui-même (ce désir qui nous définit), une volonté qui pourrait trancher par « libre décret ». Au contraire, ce qui nous fait agir, c'est toujours et nécessairement – par essence – le désir.

« Les hommes... se trompent en ce qu'ils pensent être libres; et cette opinion consiste uniquement pour eux à être conscients de leurs actions, et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés. L'idée de leur liberté c'est donc qu'ils ne connaissent aucune cause à leurs actions ». (Spinoza).

1   L’homme a conscience de ses
désirs 
: Le « petit enfant » qui a faim, le « jeune garçon en colère » qui s'estime offensé et veut châtier l'offenseur, le « peureux » qui choisit la fuite plutôt que le combat, sont autant d'exemples de ce que Spinoza nomme dans une de ses lettres « l'illusion naturelle, congénitale même » de la liberté ou plus exactement du libre arbitre. Le « petit enfant » qui a faim, le « jeune garçon en colère » qui s'estime offensé et veut châtier l'offenseur, le « peureux » qui choisit la fuite plutôt que le combat, sont autant d'exemples de ce que
Spinoza nomme dans une de ses lettres «
l'illusion naturelle, congénitale même » de la liberté ou plus exactement du libre arbitre. 


Qu'ont donc en commun tous ces « individus de même farine »? Tous éprouvent un désir dont ils ont bien conscience, et tous y cèdent, quelles qu'en soient les conséquences (bonnes ou mauvaises pour eux) et quelles que soient les bonnes résolutions qu'ils avaient pu prendre auparavant: l'homme ivre, sous l'effet de son ivresse, se laissera aller à parler plus que de raison et révèlera peut-être des secrets qu'il avait pourtant promis de taire, perdant ainsi un ami cher.

Le peureux, avant d'aller au combat, était sans doute persuadé qu'il ferait acte de bravoure, et qu'il sortirait de l'épreuve du feu avec tous les honneurs, admiré par ses compagnons d'armes ; le voilà pourtant qui, étreint par la peur de mourir, fuit au premier coup de canon.

Néanmoins, là est le paradoxe, tous diront que ce qu'ils ont fait, ils l'ont fait par « un libre décret de leur âme ». Ainsi, c'est parce que j'ai voulu fuir que j'ai fui, dira le lâche: c'était mon choix. Les raisons invoquées ne manqueront pas : cette guerre était absurde ou perdue d'avance, etc. Ce qui sera par contre passé sous silence par ce peureux, c'est pourtant l'essentiel, c'est-à-dire le véritable moteur de sa fuite, sa vraie cause, qui quant à elle ne lui apparaît pas : la peur irrésistible qui l'a saisi et dont sa fuite n'a été que la conséquence inéluctable.

2 ... mais il en ignore les causes :

Tout est donc limpide : là même où je crois décider librement de mes actes, je ne fais en fait encore et toujours que céder à « l'impulsion » la plus forte qui s'exerce sur moi.
Mais je me croirai et me dirai pourtant libre, tout simplement parce que j'ai conscience de ce que je fais (de fuir, de parler, etc.), tout en ignorant les « causes » qui me déterminent d'une manière parfaitement nécessaire à agir de cette façon.

C'est donc la conjonction de la conscience des effets et de l'ignorance des causes, qui explique notre croyance purement illusoire en l'existence d'un libre arbitre : je me crois cause souveraine, donc libre, des effets que sont mes actes par pure et simple ignorance des causes réelles, quant à elles extérieures, qui les produisent en fait (le lait, l'alcool, etc.). Il faut donc en conclure que non seulement je me crois libre, mais que je me crois nécessairement libre, lors même que je ne le suis pas.

 L’illusion est inévitable car elle découle de notre nature même : nous sommes, en tant qu'êtres humains, conscients de nous-mêmes, et toujours d'abord ignorants de l'ordre des causes et des effets dans la nature.

Aliénation et puissance du désir : Le Désir est le lieu principal du pouvoir :

s’arroger le désir humain, c’est régner sur son âme, sans le moindre recours à quelques archaïques violences ou menaces. La morale publique permet au citoyen de se frapper lui-même d’interdiction, de se sanctionner tout seul, au nom d’un principe universel, via la mauvaise conscience induite par la culpabilité. Radios, médias, télévisions…

Du pain béni, au service de l’aliénation de masse, a fortiori lorsque toute violence institutionnelle ou policière est aujourd’hui mal venue sur le plan de la gestion citoyenne.
La manipulation du désir par l’image, le slogan, la publicité agressive, généralisée ; le discours politique calibré sur la loi du marché, le management d’entreprise comme dernier refuge de la répression organisée, sous la forme raffinée et a priori empathique de l’asservissement du Désir par le Devoir professionnel…

Contrôler le désir humain, c’est régner jusqu’aux âmes des êtres, les conformer au plus profond de leurs aspirations intimes. Le modèle idéologique occidental en est un exemple effrayant où tout individualisme a pour le moins disparu via le conformisme de l’entreprise et de la société…sous des airs chatoyants !

Se rendre maître des âmes, est le rêve invétéré de toute idéologie destinée à imposer sa loi à tous en échanges de quelques intérêts juteux. Aujourd’hui, ce n’est plus ni la Religion, ni l’Etat qui asservissent très directement en ce sens, mais l’entreprise et les médias de masse.

Que les moyens d’actions destinés à réprimer et endoctriner les hommes puissent changer de lieux, de moyens, de formes, de manières, à travers l’histoire, rien de tout cela ne vient modifier l’impératif catégorique des Lumières :

la liberté humaine est impossible lorsque l’entendement, c’est-à-dire la pensée, le Désir, est aliéné par un autre impératif que celui du sujet pensant.


Du déterminisme :

La croyance au libre arbitre conduit à une illusion majeure: nous imaginons que les fins, ne sont que des effets nécessaires de causes antécédentes

Nous projetons cette illusion sur la nature entière: tout ce qui arrive serait l’effet d’un projet divin; nous devrions ainsi craindre ou louer la providence, et, négligeant les explications physiques, rechercher des explications morales aux cataclysmes, aux maladies, en invoquant la volonté de Dieu, cet «asile de l’ignorance» comme le précise Spinoza.

Ces superstitions naissent en effet de l’ignorance de l’ordre réel de la causalité. Car, en fait, tout arrive non pas en vertu d’un projet, mais selon l’ordre mécanique des causes efficientes.
Ce n’est pas pour voler que les oiseaux ont des ailes, c’est parce qu’ils en ont qu’ils peuvent voler.

Dieu (la Nature) – Pour Spinoza « Deus Sive Natura » : dieu c’est-à-dire la nature -  ne souhaite rien, n’a pas de désir - ce serait supposer en lui (en elle) le manque !

C’est notre limitation qui crée le désir, et notre ignorance qui nous fait croire que l’indétermination est une perfection. En les attribuant à Dieu (la nature), nous le (la) figurons à l’image de l’homme. C’est de l’anthropomorphisme.


Aparté : qu’est-ce que l’homme. Dialectique spinoziste contre mécanisme cartésien : 

Comme «partie» de la Substance (nature), l’homme peut être considéré doublement:
du point de vue de l’
étendue, il est un corps; du point de vue de la pensée, il est une âme.
L’âme, comme toute partie de la pensée, est une idée, l’idée de quelque chose d’étendu, ici l’idée du corps.

Tout ce qui arrive dans le corps a son correspondant dans l’âme: ainsi un certain état matériel de l’estomac se traduit, s’exprime dans la pensée comme sentiment de faim. Ce ne sont pas deux choses différentes, mais deux expressions d’un même état.

L’énigme cartésienne de l’union de l’âme et du corps est ainsi «résolue». Âme et corps ne sont pas deux substances incommunicables, mais une même réalité – l’homme – vue de deux points de vue différents.

Tout état de l’homme est simultanément mouvement dans le corps et idée dans l’âme. Il n’y a pas d’action réciproque âme-corps, mais action d’un seul être qui est âme et corps.


Le Déterminisme est-il un
fatalisme ?

On a pu voir dans le déterminisme spinoziste un fatalisme subtil.
Mais le fatalisme consiste à croire qu'il faut se résigner à l'inaction, en raison de l'impuissance humaine face à la puissance de la nature.

D'abord, il y a dans le déterminisme de Spinoza une philosophie de l'action : lorsque nous nous affairons de façon ordinaire à nos activités humaines, nous sommes plus passifs que nous le croyons, c'est justement pour passer à un mode d'existence plus actif, où c'est l'esprit humain qui agit et non l'extérieur qui le fait agir, qu'il est nécessaire de comprendre nos déterminations.

Ensuite, le fatalisme néglige un fait important en oubliant que l'esprit humain, en tant qu'idée du corps, est aussi une détermination qui entre nécessairement dans le jeu de l'action.
S'il s'agit d'accepter ce qui ne peut être changé, en comprenant comment et pourquoi, il ne s'agit pas de rester entièrement passif à l'égard des événements extérieurs.
Car ce que comprend en premier lieu l'esprit quand il raisonne, c'est qu'il est lui-même puissance d'affirmation, autrement dit désir d'exister et d'agir, il ne s'agit donc nullement de s'effacer ou de se résorber dans l'infinité divine ( de la nature)  mais de prendre la mesure exacte de sa puissance propre et de l'exprimer complètement.


Dialectique du déterminisme et de
la liberté :

Pour Marx et Engels, la loi de causalité est un reflet de la réalité objective.
Autrement dit, il y a déterminisme dans l'ordre physique entre deux phénomènes distincts, dont l'un est antérieur à l'autre et qui sont dans un rapport de cause à effet, lequel comme tel est prévisible.

Ainsi, par exemple, une feuille poussée par le vent se déplace. Le rapport du poids de la feuille et la pression du vent étant connus, l'arrêt ou la vitesse de la feuille peuvent être prévus. Mais il y a aussi déterminisme dans l'ordre des êtres vivants. Même si l'être humain a le sentiment d'agir de lui-même, par lui-même en fonction de ce qui lui plaît ou de son intérêt, il reste déterminé aussi bien par les lois de la nature extérieure que par celles qui régissent son existence physique et psychique.

La liberté ne saurait donc consister « dans une indépendance rêvée à l'égard des lois de la nature » mais plutôt dans « la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en œuvre méthodiquement pour des fins déterminées ».

Ainsi, plus l'homme connaît les causes qui le poussent à agir, plus il est susceptible d'en dévier le cours, par l'interaction d'autres causes, dans le sens désiré, plus il peut agir sur la nécessité par la nécessité même à laquelle il obéit tout en la faisant servir à ses fins.

La liberté n'est donc pas quelque chose qui est donné, mais quelque chose qui est à prendre. Les hommes n'ont pas à apprendre qu'ils sont libres, ils ont à se libérer.
Cette liberté ne peut se développer que dans des rapports sociaux déterminés. Mais dans la mesure où l'homme prend conscience des rapports sociaux qui le déterminent, il peut les transformer.
(Note : on retrouve ici la proposition d’Epicure sur la « liberté des atomes » au travers de l’introduction du clinamen (déclinaison)).

Il est vrai que nous ne sommes jamais immédiatement libres : nos désirs prennent le plus souvent leur source et leur origine déterminantes dans les choses extérieures que nous subissons, et dont nous sommes ainsi à notre insu les jouets passifs.

Telle est alors bien la condition naturelle et ordinaire de l'homme : la servitude passionnelle, et non pas la liberté.

Mais si, au lieu de rester ignorant des déterminations qui pèsent sur moi, je faisais l'effort de les connaître, que se passerait-il alors en moi? Je saurais en vérité pourquoi je fais ce que je fais, et de nouvelles idées naîtraient alors en mon esprit : non plus ces idées
« confuses » et « mutilées » que Spinoza appelle dans l'Éthique les « idées inadéquates », toujours issues des affections que je subis, mais des « idées adéquates », issues quant à elles de la seule force de ma puissance de penser et de connaître.

Il en découlerait qu'au lieu d'être la « cause inadéquate » de mes idées, et donc par là des désirs et des sentiments qu'elles produisent en moi, j'en serais la
« cause adéquate » : mes désirs s'expliqueraient alors non pas par l'action des choses extérieures sur moi, mais par ma propre et seule nature.

Agir selon la seule nécessité de sa nature, voilà précisément ce qu'est la liberté pour Spinoza : si donc l'homme n'est jamais immédiatement libre, c'est non pas tant parce qu'il désire, que parce que ses désirs ont une origine dans des causes extérieures qu'il ignore.

 Que par contre ses désirs découlent de sa seule puissance de penser, et alors l'homme pourra être dit libre: la liberté véritable ne réside donc pas dans un libre arbitre ou un « libre décret », pure illusion , mais dans l'effort de connaissance de l'ordre des causes et des effets dans la nature.

« Les mêmes causes engendrent en effet toujours les mêmes effets. Même si la plupart de ses lois nous échappent et que nous attribuons beaucoup d'évènements au hasard, le déterminisme de la nature est en réalité absolu.
Chacun peut également comprendre qu'il ne peut exister autrement que comme il est, qu'il ne peut faire à tout moment autre chose que ce qu'il fait, que le monde ne peut pas être autrement que comme il devient, et ainsi de suite dans l'univers infini de l'espace-temps du monde.
Tout ce qui existe y compris mon bonheur et mon malheur est déterminé d'une manière nécessaire par les lois de la vie. Remarquons que ce déterminisme absolu n'est pas un fatalisme les événements de l'univers ne sont pas fixés à l'avance, pas plus dans les choses que dans l'homme.
A tout moment tout ce qui existe peut agir de manière créatrice par le pouvoir de Dieu, c'est-à-dire de la nature. Ainsi l'homme peut-il être considéré comme un être libre, non parce qu'il s'affranchit du déterminisme mais parce qu'il agit dans la pleine conscience sa propre détermination.
Un homme est libre lorsqu'il crée en usant de la puissance créatrice par laquelle la vie universelle crée à tout moment la vie singulière du monde présent. 

Le destin est donc une aventure ».

(B. Guiliani – Le bonheur avec Spinoza)




Sujet du Merc. 23/03/2024 : Le cas Nietzsche.

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