L’artiste est-il un
producteur comme les autres ?
Il est nécessaire de
préciser que le thème de ce sujet n’EST PAS une réflexion sur l’esthétique
(qu’est que le beau, le laid ? Etc …..).
Je remercie donc les intervenants de ne pas perdre de vue le terme de « producteur » entendu ici au sens strict : celui qui produit une marchandise (matérielle ou « de l’esprit »)
.
Dans notre société le
mot « artiste » a plusieurs fonctions parfois quasi religieuses ou en
tout cas mystérieuses, fréquemment triviales pour qui est friand de la
« star’ac » ou « the voice ».Mais même si on se fie à ces
distinctions (il y en à d’autres …) est-il possible de dire que les uns et les
autres ne produisent …. « Rien » - On comprend mieux ici le refus du
traitement esthétique du sujet qui, s’il en restait à ce seul critère, s’enliserait
dans ceux à qui « ça » plait et ceux à qui « ça ne plait
pas » -
Pour
une approche contradictoire :
- d'un côté l'artiste est un travailleur spécialisé comme un autre. Sa production est unique ;
- de l'autre, il est l'esquisse d'un individu complet, apte à développer un pouvoir créatif qui reste bridé chez la masse des autres personnes.
L’artiste s’insère,
comme tous les êtres humains de son temps dans des processus de production mais
les objets qu’il produit ont une double caractéristique :
- ils sont inclus dans un processus de création d’une marchandise particulière : littérature, peinture, musique, cinéma …..
- ils semblent s’en détacher par leur unicité (alors que les marchandises « classiques » sont reproductibles à l’infini).
Point à éclaircir immédiatement :
le fait de dire « apte à développer
un pouvoir créatif » ; qui semblerait valider la thèse des
« génies ». Le génie comme concept a cela de pratique qu’il écarte la
réflexion sur l’origine du soi-disant génie
(nous avions examiné cela lors du café philo sur « Avons-nous besoin d’hommes providentiels »).
Pour notre part nous
considérons que l'art est une activité sérieuse, pas un simple délassement, qui
requiert qualification et formation de haut niveau (en ce sens, on peut juger
que « faire entre autres de la peinture
» empêche de devenir Raphaël, bien au contraire, le travail en atelier est la
condition de son talent et de sa capacité à répondre aux commandes qui lui sont
faites. ). A ce titre, on peut le
rapprocher de ce que serait le travail libéré de l'aliénation.
C’est sur la base de
ces considérations que nous pourrons dès lors juger les « artistes »- kleenex de la télé. Et c’est ici que se
clôt le débat de savoir si ce qu’ils « produisent » est
« esthétique » ou pas. Là n’est pas l’ESSENTIEL.
Mais demeure le
caractère « marchand » de l’œuvre d’art. De quelle marchandise s’agit-il
donc ? Pour John M. Keynes le
marché de l’art est autoréférentiel et autoréalisateur, conduisant au
déséquilibre et non à l'équilibre : aujourd'hui l'instabilité du marché de
l'art contemporain est connue ! Mais ce que les libéraux oublient (dans
leur frénésie à tout marchandiser – même l’art -), c’est que le marché de l'art
n'en est jamais totalement un en raison de l'incertitude foncière qui pèse
sur la valeur de l'œuvre.
Si
l'on abandonne le point de vue de l'économiste et du collectionneur fortuné, on
peut dire que cette incertitude, loin d'être un défaut, est précisément ce qui
révèle que l'œuvre (la production, la « marchandise ») n'est jamais complètement
ni seulement une marchandise.
Ce statut complexe offre à l'artiste des marges de manœuvre, une certaine liberté qui lui permettent, le cas échéant, de se détacher de cette logique marchande, voire de la critiquer, de la donner à voir tout en s'en détachant
Si l'activité
artistique et culturelle n'est pas, ne peut pas être complètement, intégrée au
fonctionnement des circuits classiques de la marchandise, son degré de
résistance et sa portée critique sont fonctions directes des choix qui sont
ceux des créateurs eux-mêmes. Mais par ailleurs, et plus fondamentalement
encore, cette situation offre un angle de vue sur le travail en général.
Si la force de travail peut
se vendre dans le domaine de l’art comme marchandise, elle n'est pas
produite comme marchandise et résiste par définition à sa complète
colonisation par le marché.
Au fond le travail si particulier de l’artiste rend
visibles, en les grossissant, certains traits qui sont ceux du travail et des
activités salariées de l’ensemble des producteurs dans la société.
Peut-être cela nous
permet-il d’envisager une autre définition de la richesse : une fois les
besoins égoïstes de quelques-uns abolis, avec leurs rapports de production et
d’échange privatisés, qu'est-ce que la richesse, sinon l'universalité des
besoins, des capacités, des jouissances, des forces productives des individus,
universalité engendrée dans l'échange universel ? Sinon le plein développement
de la domination humaine sur les forces de la nature, tant sur celles de ce
qu'on appelle la nature que sur celles de sa propre nature ? Sinon
l'élaboration absolue de ses aptitudes créatrices ?
( Sources : I. Garo - L'or des images - 2013. Hegel : Esthétique : 1835)
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